Comme il était de coutume dans les sermons d’autrefois,
je commence par relater un fait récent. Je causais, il y a une
dizaine de jours avec une amie qui est au début de la cinquantaine
et qui me dit : « Vous vous seriez bien entendu
avec ma mère. Lorsque que mon père est mort, il y a dix
ans, ma mère s’est mise à aller à la messe, à participer
aux activités de la paroisse, à lire de la théologie,
elle s’est accrochée à la religion. »
Et j’avoue que l’expression m’a un peu agacé.
D’abord, je n’aime pas tellement sa sonorité et
puis, elle nous ramène à une foi en Dieu perçue
comme étant une bouée de sauvetage, comme un opium du
peuple, comme l’indice sévère d’une faiblesse
psychologique.
Puis m’est venue l’idée de renverser l’expression :
N’est-ce pas plutôt Dieu qui s’accroche à nous, à chaque
personne, à l’humanité. Et l’histoire ne
nous montre-t-elle pas, l’histoire des religions comme celle
de l’humanité ou celle de l’Église, que Dieu
imagine des chemins parfois inimaginables qui provoquent tantôt étonnement,
curiosité, inquiétudes, incrédulité, révolte
et aussi émerveillement et action de grâce.
Au cœur de la réflexion que je poursuis avec vous ce
matin, il y a une phrase de Paul, proposée.par les textes liturgiques
d’aujourd’hui : L’amour de Dieu est
répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous
est donné. (Romains, 5,5).
Cet énoncé est un premier pilier pour construire une
fragile passerelle vers le mystère du Dieu vivant : Père,
Fils et Esprit.
Étrangement, je m’arrête d’abord à un
mot de deux lettres : la préposition de qui relie Amour
et Dieu dans l’expression : L’amour de Dieu.
Le de exprime d’abord la possession, c’est un
amour qui réside en Dieu, il lui appartient, c’est la
définition même de Dieu. Dieu est amour, nous dit saint
Jean.
Le de exprime la provenance, l’amour qui vient
de Dieu, un amour en mouvement, un amour dynamique, un amour relationnel.
Le De exprime aussi notre amour pour Dieu. Il y a réciprocité entre
un moi et un toi, une première circularité.
Cet amour de Dieu nous dit saint Paul est répandu dans nos
cœurs, est versé dans nos cœurs. Le cœur,
c’est une réalité de notre chair, de notre corps,
et c’est le centre affectif de tout notre être, de notre âme,
de notre conscience. L’amour est donc répandu partout,
partout.
C’est l’Esprit Saint qui répand cet amour. Cet
Esprit est comme le vent… on ne sait ni d’où il
vient, ni où il va… mais il vient de quelque part et
nous conduit quelque part. « Quand l’Esprit
viendra, nous dit Jésus, il nous conduira vers la vérité tout
entière » qui est le Verbe,
la Parole de Dieu, Jésus lui-même. Nous sommes dans l’interconnexion. « Tout
ce qui appartient au Père est à moi;
voilà pourquoi je vous ai dit : « L’Esprit
reprendra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. »
L’image la plus simple et la plus traditionnelle de toute cette
dynamique, c’est l’amour d’un homme et d’une
femme qui leur est propre, qui s’exprime dans les relations avec
leurs enfants qui en retour aimeront leurs parents et s’aimeront
entre eux et surtout développeront à leur manière
cet héritage. Il y beaucoup d’autres variables à ce
prototype classique. Jésus lui-même a fait éclater
bien des conservatismes sociaux dans sa manière de vivre cet
amour de Dieu qu’il a mené jusqu’à un accomplissement
total et unique.
Le jeune prophète de Nazareth, une expression utilisée
quelques fois ici même par Jacques Tellier, a vécu d’une
manière originale et créatrice ses liens avec l’humanité.
Il a diffusé son amour dans ses relations quotidiennes avec
les enfants, les femmes et les hommes qu’il a rencontrés.
Il a livré son message, écouté, appuyé,
guéri, aidé, sans rien demander en retour. Il a incarné et
exprimé la bonté radicale de Dieu, a fait preuve
d’une hospitalité ouverte à tout venant, pour
reprendre des expressions d’un théologien contemporain
Christoph Théobald.
Ses nombreuses rencontres témoignent de cette gratuité :
dont celles avec la samaritaine, le centurion romain, la femme malade,
l’aveugle Bartimé, la femme adultère, Nicodème,
Marthe, Marie, Marie-Madeleine. Et dans le grand entretien communiqué sur
un ton presque confidentiel un certain jeudi soir à son réseau
d’intimes, à la première communauté chrétienne,
il formule une seule exigence, un seul commandement : « aimez-vous
les uns les autres comme je vous ai aimés. »
L’amour, on y revient toujours. L’appel pressant que Jésus
fait à ses disciples, c'est d'entrer avec l’Esprit dans
le mystère du Père. Par les textes liturgiques offerts à notre
médiation, cette célébration de la Trinité nous
permet d’imaginer en Dieu l’amour en termes de circularité,
de transmission, d’échange, de communication, de relations
interpersonnelles. La réalité trinitaire ouvre une perspective
sur l’intériorité de Dieu où chaque sujet
divin garde sa spécificité, où chaque personne
humaine s’ouvre à ceux qui sont sur la route dans la communauté humaine.
La Trinité évoque l’expression mystérieuse
de l’intimité relationnelle de Dieu et de sa proximité dynamique
avec chaque être humain. Cette communion s’étend
aux plus proches et aux plus lointains, dans les réseaux plus
immédiats, dans la communauté chrétienne, dans
différents groupes religieux, jusqu’à la société tout
entière. La Trinité, c’est Dieu qui dans son Amour
enveloppe l’humanité et s’accroche à chaque
personne mais en respectant et honorant la liberté humaine car
l’Esprit lui-même sème la liberté, la confiance,
la joie et la paix.
Et comme on disait à l’époque, c’est la grâce
que je vous souhaite.
Commentaire de Mme Marie-Andrée Lesage
Merci à Louis Lesage pour la profondeur et la richesse de ses textes et la facilité de bien suivre et comprendre le message qu'il nous transmet sur la Sainte Trinité, je parle au nom de mes proches qui eux aussi ont le même commentaire.