La condamnation de Jésus résulte d’une interaction toxique, voire funeste, entre la foule enflammée, les chefs des prêtres et les scribes, gardiens de la lettre des lois, Pilate et Hérode. Encore ici, le récit de Luc met en scène des personnages aux attitudes familières, qui nous interpellent personnellement, la volonté de pouvoir d’Hérode, le louvoiement de Pilate, l’intolérance des gardiens de la loi et l’incompréhension de la foule.
Ainsi, s’amorce le chemin de croix de Jésus de Nazareth qui le conduira au calvaire. Mais pour l’accompagner dans ce parcours douloureux, Simon de Cyrène, une figure de compassion, la meilleure part de nous-mêmes.
Dans quelques instants les ténèbres vont recouvrir le Golgotha et le voile du temple se déchirera, moment suprême où la nuit du doute fera place à la lumière de l’abandon, de la foi et de l’espérance. « Père, entre tes mains je remets mon esprit ».
Cet épisode riche de sens n’en finit pas de réverbérer dans l’histoire, mais aussi dans nos vies. On se rappellera les Hébreux en fuite d’Égypte qui se retrouvent devant la Mer Rouge, poursuivis par l’armée du Pharaon, coincés dans un étau, et Moïse qui les invite à la confiance, à l’espérance et leur ouvre un passage à travers la Mer Rouge.
Cette tension entre le doute, la désespérance et l’angoisse, et la foi, l’espérance et la joie, nous l’avons vécue à différents moments de nos vies, l’accouchement et la naissance d’un enfant, la première journée d’école, l’interminable attente d’un résultat de test diagnostique et la maladie, les moments qui précèdent une performance sportive ou artistique.
Jésus sur la croix nous montre le chemin, le passage de la Mer Rouge qui s’ouvre chaque fois que dans nos vies nous arrivons au bout de la désespérance, à l’orée d’une voie nouvelle, souvent insoupçonnée, lumineuse, la passion comme célébration de la vie qui se renouvelle. La croix faite non pas de bois sec mais de bois vert vivant.
Mais qu’est-ce donc qui transforme le doute et l’angoisse en foi, espérance et apaisement? La réponse nous est donnée par le prophète Isaïe aux versets 52 et 53, dans le récit énigmatique du serviteur, que d’aucuns ont interprété comme préfigurant la passion du Christ.
Écoutons le prophète :
« Voici, il comprendra et réussira mon serviteur. Il sera haut placé, élevé, exalté à l’extrême…
Mais pour sûr, nos maladies et nos faiblesses, c’est lui qui les a levées, et nos douleurs il les a portées…
Il rendra justice, mon serviteur, à des multitudes. Et leurs torts, lui, il les portera.
C’est pourquoi, je lui donnerai sa part parmi des multitudes ».
L’amour de l’autre et des autres, plutôt que le repliement sur soi, est ce qui transforme le doute existentiel en espérance et en renaissance. Jésus entra librement dans sa passion car il voulait témoigner de façon éclatante de son message d’amour et de don, sans ambiguïté, totalement, de façon extrême. Les injures ne l’atteignent plus, il vit dans sa bulle, dans une autre dimension, il est ailleurs dans un univers d’amour, le véritable « royaume des cieux ».
Mais tout cela est incompréhensible aux protagonistes du récit de la passion, et peut-être à nous-mêmes. Le récit est vécu au premier degré comme un fait divers qui fera « la une », l’espace d’une journée. La crucifixion d’un prophète et de deux malfaiteurs, vue à travers les yeux des disciples, des scribes, de Pilate, d’Hérode et de la foule.
Cependant, à travers la compassion de Simon de Cyrène, de Joseph d’Arimathie et des femmes qui l’accompagnent dans ses derniers moments, commence à poindre au-delà de ces évènements une signification plus profonde, la promesse du tombeau vide et de la résurrection.