Les personnes qui ont participé à l’eucharistie,
dimanche dernier, auront certainement remarqué que nous sommes
toujours dans la synagogue de Nazareth et à St-Albert. Deux
passages superbes que nous venons d’entendre. Paul nous donne
une des plus belles pages de la Bible. Ce qu’on a fini par appeler
l’hymne à l’amour. C’est vrai que l’amour
est la chose la plus importante de l’existence humaine. Mais
la question reste toujours : comment aimer?
Dans le passage d’Évangile, nous sommes devant une toute
autre situation. Une assemblée qui tourne mal. Nous voyons comment
les participants étaient admiratifs devant ce que Jésus
disait : « Tous lui rendaient témoignage ».
On s’étonnait d’entendre les paroles que prononçait
Jésus : « Cette parole de l’Écriture
que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle
s’accomplit. » Un enfant du village qui parle si bien.
On le connaît : c’est le fils de Joseph; c’est
l’un de nous. On en est fier…
Mais tout se gâte si vite. Jésus, alors qu’il ne
faisait que parler un langage d’amour et de service, n’a
pas du tout été compris. Dans des situations de ce genre,
ma mère avait l’habitude de dire : « le
lait tourne ». À Nazareth, on avait entendu dire
qu’il était déjà connu ailleurs; qu’il
avait fait des miracles à Capharnaüm. N’est-ce pas
ce qu’on attendait encore de lui? Il y avait probablement à Nazareth
des personnes à guérir. Pourquoi ne le fait-il pas chez
lui? En voulant des prodiges, des guérisons qui rendraient le
village célèbre, les Nazaréens veulent des avantages,
Jésus, lui, espère des remises en question.
Qu’est-ce qui se passe? À Nazareth, on le connaissait
trop bien. Comment peut-il dire qu’il est cette Parole qui s’accomplit?
S’il ne fait pas de miracles, ce n’est pas un vrai prophète.
Jésus a senti cela chez les membres de son assemblée.
Au proverbe : « Guéris-toi toi-même »,
Jésus en remet et il a cette réponse cinglante : « Nul
n’est prophète en son pays. » Il est venu pour
les personnes qui l’accueillent. Il ne force rien. Si vous ne
voulez pas me reconnaître, d’autres, plus ouverts, le feront.
Et il donne des exemples. Au temps d’Élie et d’Élisée,
qui étaient tous deux au service du peuple d’Israël,
ce sont des étrangers qui ont été guéris
et non les gens de la place. L’assemblée le trouve de
plus en plus insupportable. La colère monte et on le pousse
carrément en dehors du village. On tente même de le tuer.
Ce n’est pas rien…
Resurgit toujours la même question : « Qui
est-il? » « Pour qui se prend-il? » La
Bible est pleine de prophètes qui n’ont pu annoncer la
Parole dans leurs milieux. Ils sont partis ailleurs, chez les étrangers.
Cela manifeste que Dieu est vaste, sans frontières. Jésus
n’est pas un faiseur de miracles, mais il est la présence,
le regard et la parole de Dieu parmi nous. Jésus veut faire
saisir à ses concitoyenset concitoyennes qu’il agit en
faveur de toute l’humanité, des personnes qui attendent
que quelque chose change dans leur vie. Et la dernière phrase
de ce passage est révélatrice : « Mais
lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin ».
Ce n’est pas là de la provocation, mais détermination
de Jésus à continuer son aventure. Il traverse le temps,
l’espace, les conventions, les traditions trop étouffantes.
Jésus prophète! Ce n’est pas la sorte de prophète
qui a la prétention de prédire l’avenir et que
l’on voit tant et tant. Non! Ce prophète Jésus,
c’est celui qui prépare l’à-venir de Dieu,
celui qui risque sa parole au prix de sa vie pour dire le Dieu de l’impossible,
le Dieu qui aime. Et quand le prophète fait son métier
de prophète, comment ne gênerait-il pas? Le prophète
fait sauter des barrières, poussant toujours l’humanité vers
plus de fraternité, de générosité, de solidarité,
de justice et de liberté. Et on en a bien besoin.
Nous avons là, en quelques lignes comme un résumé de
toute l’aventure humaine de Jésus. « Nul n’est
prophète en son pays ». Car le vrai prophète
est l’homme de cet ailleurs, ouvrant ce mystérieux à-venir
de Dieu qui, toujours, nous tire vers l’infini. Les gens de Nazareth,
eux, veulent profiter du fait que Jésus est un concitoyen. Lui,
Jésus, veut des remises en question. Ne sommes-nous pas, comme
ces fidèles de Nazareth, tentés d’enfermer Dieu
dans nos Églises et nos groupes, dans nos institutions confessionnelles?
C’est ce Dieu du présent qui désire qu’on
travaille à changer le monde et la société. Jésus
choisit de présenter sa véritable identité :
il est prophète; il est présence de Dieu au milieu de
nous.
À la lumière de l’incident de Nazareth, nous devons
questionner nos propres comportements les plus ordinaires. Jésus était à la
fois un des leurs et, en quelque part, il avait quelque chose de l’étranger,
de l’ailleurs qui nous mène ailleurs. Quelle est notre
attitude envers nos proches aussi bien qu’envers l’étranger?
L’étranger nous ouvre à l’inconnu, et le
prochain vit un mystère qui nous dépasse. Tentons de
changer notre regard, nos attitudes et nos comportements. L’amour,
le véritable, n’enferme pas; l’amour ouvre. On élimine
trop rapidement parfois le mystère chez les autres qui nous
empêche de les découvrir réellement. Pourquoi ces
personnes ne seraient-elles pas, à la suite de Jésus,
présence de ce Dieu tout autre, et tout proche?
Les habitants de Nazareth, nous donne l’occasion de nous demander
comment nous percevons Jésus? C’est une interrogation
permanente. Ne pas apporter à cette interrogation une réponse
fermée. Jésus ouvre Dieu en dehors d’Israël
et vers l’humanité. Il redit à Nazareth et à nous
aujourd’hui que le salut, que l’à-venir de Dieu
est pour l’humanité entière. Alors, ouvrons-nous à cette
aventure de la vie.
Aujourd’hui comme hier, Jésus fascine. Cet événement
de Nazareth est un prélude dramatique à tout ce que sera
la mission de Jésus. Des gestes et des paroles qui veulent dire
l’amour. Il sera condamné par les siens, reconnu par d’autres.
Mais à toutes les personnes qui l’accueilleront, il leur
donnera de travailler à l’à-venir de Dieu et du
monde. « Mais lui, passant au milieu d’eux, allait
son chemin. » À nous de le suivre…