En relisant ces passages que nous venons d’entendre, surtout celui de l’Évangile, je me faisais cette remarque : « Bon Dieu, qu’on a souvent compliqué l’accès à l’Évangile »  Pourtant l’Évangile commence là : « Celui qui vous donnera un verre d’eau au nom de votre appartenance au Christ, il ne restera pas sans récompense ». Ne cherchons pas l’Évangile en dehors de ce qui fait nos vies, dans ce qu’elles ont de plus quotidien, là où se vivent les relations de proximité avec la famille, les voisins, les pauvres rencontrés par hasard, les gens mal pris qui nous téléphonent pour demander conseil, les peuples pris dans toutes sortes de misères au plus loin et dont on ne sait pas trop comment les aider. L’Évangile, les gestes et les paroles de Jésus, sont là qui interrogent nos vies, nos paroles, nos gestes, nos attitudes.

« Maître, nous avons vu quelqu’un expulser les démons en ton nom… Nous avons essayé de l’en empêcher, car il n’est pas de ceux qui nous suivent… » Mais quel scandale pour les disciples! Quelqu’un a fait du bien à un autre, et les disciples ne veulent pas le reconnaître. C’est à n’y rien comprendre… Jésus balaie cette vision étroite.

Nous avons tous et chacun de plus en plus souvent l’occasion de travailler avec des personnes et des groupes pour dénoncer les injustices, pour signaler qu’il y a un problème dont on devrait s’occuper davantage. Plusieurs descendent dans la rue pour interpeller… Ces personnes ou ces groupes avec qui nous travaillons ou marchons n’ont souvent pas la même foi, les mêmes visions de Dieu; des personnes ne partagent pas notre foi. Ce qui nous unit c’est l’ouverture du cœur à la misère humaine. Du bien fait par quelqu’un d’autre est aussi du bien. Jésus dit à ses disciples : nous ne sommes pas les propriétaires de la libération des autres. Attention aux exclusivismes, au mépris des petits. La seule préoccupation, et c’est bien cela le sens de l’Évangile et de l’Incarnation, c’est l’humanité neuve, vivante que Dieu est en train de faire naître, que Jésus a tenté de faire naître et que nous, je l’espère, à notre mesure, nous tentons de faire naître.

Ce passage d’Évangile nous appelle à l’ouverture, à sortir de l’étroitesse de vue toujours possible. L’important, c’est que le bien se fasse, que l’attention aux autres soit notre préoccupation avec toutes les personnes de bonne volonté. La seule chose qui compte c’est bien que l’Esprit, l’Esprit de l’Évangile, se répande et qu’il y ait du souffle. Qu’importe par quels chemins il viendra. N’y a-t-il pas une part de Dieu en tout être humain?

Moïse disait : « Ah! Si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur eux, pour faire de tout son peuple un peuple de prophète! » C’est un immense rêve. Le don de l’Esprit est offert à tous. Nul ne peut lui fixer de limites. Il est souvent là où on ne l’attend pas. Il surprend, il bouscule, il appelle en avant. Il veut rassembler, construire, faire grandir l’amour. Il met en chacune et chacun la force qui vient de Dieu. Contrairement à ce que les disciples pensaient, le Souffle, on ne peut pas l’arrêter, on ne peut pas dire : il est là, il n’est pas là, il est dans l’Église, il n’est pas dans l’Église. Il importe de le laisser nous atteindre.

Le Souffle est partout; dans les endroits, souvent, les moins « catholiques » qu’on puisse imaginer. Cela, c’est déroutant. Alors l’Église de J.-C., c’est quoi? C’est une expérience d’un monde neuf qui est en train d’arriver, auquel travaillent Dieu et ses enfants, i.e. nous, là où nous sommes, là où nous vivons. L’Église, c’est le lieu du souvenir du Nom de Jésus.

Ne sommes-nous pas alors en pleine évangélisation? Évangéliser c’est entrer et travailler dans cet espace nouveau en train de naître… Cela suppose qu’on ait des yeux pour voir, une voix pour parler et des mains pour agir. L’amour des autres fait partie de la foi. En entendant Ingrid Bétancourt à la télévision ou à la radio elle nous a répété comment c’était l’amour qui l’avait gardée vivante pendant sa captivité. Voilà ce que Jésus attend de ses disciples : ouvrir son Nom le plus largement possible.

On a besoin de toutes les personnes et les groupes qui ont du souffle, croyants et non croyants, ou d’autres religions, lorsque chacun est habité par l’esprit. Une Église qui ouvre les fenêtres et qui est capable d’établir des liens avec des gens qui soufflent le neuf. Le Souffle nous met au service et ne donne aucun pouvoir sur les autres.

Alors à quoi servons-nous comme chrétiens et chrétiennes? Justement à cela : Si nous nous rassemblons, c’est pour célébrer et proclamer que l’amour de Dieu, le souffle de Dieu, est ouvert à tous. Notre particularité de chrétien, ce n’est pas de détenir la vérité, mais d’annoncer partout que la vérité est à chercher, à découvrir, à admirer en tous et chacun. « Ceux qui ne sont pas contre nous, sont avec nous ».

Participer à l’eucharistie, c’est nous redire que nous sommes appelés à continuer ou à reprendre la route dans le souvenir et l’esprit de Jésus. On peut entendre les paroles de Jésus; on peut chanter notre appel à l’Esprit, on peut s’interroger sur le sens de l’Esprit. Tout cela pour nous poser la question : qu’est-ce que l’Esprit inspire que je fasse maintenant pour la société et pour notre communauté? Tout n’a pas été dit par Jésus, c’est à nous de continuer… L’eucharistie, c’est d’accueillir le souffle de Jésus, dans un geste si simple: prendre un peu de pain et de vin en mémoire de Lui et penser à l’autre, proche ou lointain. S’il fallait encore le découvrir, n’est-ce pas un geste et un moment prophétiques? N’est-ce pas cela, l’Évangile au ras de la vie.