« Accueillir ou non l’immigré », « soutenir
ou non la veuve et l’orphelin » c’est-à-dire
les oubliés de la société, « secourir
ou non les pauvres », tous ces actes ou omissions, nous dit
le livre de l’Exode, Dieu les considère comme faits à lui-même.
Dieu n’est pas indifférent à la façon dont
nous traitons notre prochain. Il se considère personnellement
concerné par ce que nous faisons ou ne faisons pas à autrui.
C’est ce lien inextricable entre amour de Dieu, amour du prochain
et amour envers soi-même que l’évangile accentue.
Comment articuler ces trois formes d’amour entre elles?
« Aimer son prochain comme soi-même ». S’aimer
soi-même ne va pas de soi. Ne dit-on pas que le moi
est haïssable? S’aimer soi-même, n’est-ce pas
du narcissisme? Certaines personnes sont si imbues d’elles-mêmes,
se croient tellement au-dessus des autres qu’« elles
ne portent pas à terre » selon l’expression
populaire. Est-ce cela « s’aimer soi-même »?
Par ailleurs, d’autres personnes, tout au contraire, se dévalorisent
et ne s’aiment pas. Elles n’aiment pas leur corps, elles
n’aiment pas leur caractère, elles n’ont pas les
talents qu’elles auraient aimé avoir, etc. On pourrait
multiplier les motifs qui portent les gens à ne pas aimer ce
qu’ils sont.
Pourtant, les spécialistes du comportement humain insistent sur
la nécessité d’avoir une bonne estime de
soi pour s’épanouir et avoir de bonnes
relations avec autrui. S’aimer soi-même, c’est avoir une
juste image de soi, s’accepter
avec ses faiblesses et ses forces, avec
ses limites et ses qualités, non pas pour
s’y complaire, mais pour s’accomplir, s’épanouir, en
tablant justement sur ses forces et ses qualités.
C’est pourquoi l’estime de soi doit être
cultivée et encouragée. Nous avons même une responsabilité dans
la formation d’une image positive de soi chez autrui. Le regard
que nous portons sur autrui contribue pour beaucoup à la formation
de l’estime soi chez lui. L’enfant dévalorisé par
son entourage finira par croire ce qu’on dit de lui et à se
forger une image négative de lui-même. Celui qui n’a
pas d’estime pour ce qu’il est, peut difficilement aimer
et être aimé.
C’est pourquoi Jésus demande d’aimer le prochain comme
soi-même. Aimer son prochain comme soi-même,
c’est en quelque sorte lui vouloir et lui faire
du bien, à même le
bien que nous nous voulons et que nous nous faisons à nous-mêmes. C’est
cela aimer le prochain comme soi-même.
L’expression « aimer le prochain comme soi-même » apparaît
sept fois dans le Nouveau Testament, mais seul l’évangéliste
Luc, dans la parabole du Bon samaritain (Lc 10 :25-37), tente de
préciser qui est le prochain. La parabole nous
apprend que le prochain n’est pas un proche par
les liens du sang ou de l’amitié. Le prochain, c’est
sans doute celui qui a besoin de notre aide, mais c’est surtout
celui dont on se rapproche, celui dont on se fait proche.
La proximité dépend de nous. C’est à nous
de faire la démarche de se rapprocher de l’autre quel qu’il
soit, soit pour le découvrir comme l’immigré, soit
pour lui porter secours, lui rendre service par compassion ou par amour
comme le pauvre.
Le commandement d’« aimer son prochain comme soi-même » est
lié à celui d’aimer Dieu de tout son être. Comment
peut-on rattacher ce commandement qui, nous dit l’Évangile,
est semblable au premier,
au grand commandement de l’amour de Dieu?
On serait tenté de dire : aimer son prochain n’est-ce
pas donner une preuve que nous aimons Dieu?
C’est ce que semble dire Saint-Jean dans sa Première Épître : « Celui
qui n’aime pas son frère qu’il voit, ne peut pas aimer
Dieu qu’il ne voit pas… Celui qui aime Dieu aime aussi son
frère » (1Jn 4 :20).
Pourtant, en s’inspirant du même Saint-Jean, on peut dire
qu’aimer son prochain, c’est aimer Dieu,
puisque, nous dit-il, « si nous nous aimons les uns les autres,
Dieu demeure en nous et son amour, en nous, s’est accompli » (1Jn
4 :12). L’amour de Dieu en nous s’accomplit dans l’amour
du prochain.
Peut-on mieux souligner comment Dieu est à la source de tout
amour? Amour de Dieu, amour du prochain comme soi-même ont leurs
racines dans l’amour dont Dieu nous aime. C’est Lui qui le
répand dans nos cœurs et nous permet de vraiment aimer.
Comment est-il possible de commander d’aimer?
L’amour, dit-on, ne se commande pas, il y a en lui de l’affection
qui ne peut faire l’objet d’une obligation. Le mot français « commandement » est
ici trompeur. Le mot grec utilisé dans le NT, traduit en latin
par « mandatum », serait mieux traduit par le mot
français « mandat » ou « mission ».
Le commandement de l’amour, c’est le mandat
ou la mission que Dieu en Jésus, son Fils et
Seigneur, nous confie : aimer sans partage, à partir
de l’amour dont Dieu nous aime. Ce mandat ou cette
mission relève sans doute de l’obéissance
de la foi, mais aussi, comme tout mandat, toute mission,
de l’initiative de chacun. C’est à chacun
et chacune d’inventer la manière dont il peut s’acquitter
de cette tâche confiée à tous ceux et celles
qui se réclament de Jésus.
Comme le souligne l’Évangile et l’illustre le texte
de l’Exode que nous avons lus tout à l’heure : « Tout
ce qu’il y a dans l’Écriture – la Loi et les
Prophètes, dépend de ces deux commandements ».
Tous les préceptes particuliers, toutes les exhortations, les
mises en garde… visent à indiquer dans quelle direction
s’accomplissent ces deux commandements. Ce que Saint Augustin a
exprimé dans une formule admirable de concision que je laisse à votre
méditation : « Ama, et quod vis, fac ». – « Aimes,
et ce que tu veux, fais-le ».
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