Étonnante cette interrogation de Jésus sur lui-même.
Un moment de recherche d’identité, dirions-nous aujourd’hui. « Le
Fils de l’homme, qui est-il d’après ce que disent les
hommes? », demande Jésus. Il manifeste le besoin de vérifier
ce que les autres pensent de lui, à un moment où il savait
que ses jours étaient comptés et dans un lieu, à Césarée-de-Philippe,
où il y avait de nombreux temples dédiés à des
dieux différents. Allait-on l’oublier après sa mort?
Quelque chose de sa mémoire restera-t-il? Bien des questions en
tête… Les disciples tentent de répondre, en disant
au mieux ce qu’ils entendent autour d’eux. Pour les uns, tu
es un des prophètes; pour les autres tu es un tel… « Et
pour vous, qui suis-je? ». Et si je nous posais la question : « et
pour nous aujourd’hui qui est Jésus? » Qu’aurions-nous à répondre?
Je ne le ferai certainement pas à votre place. À chacune
et à chacun de répondre dans le silence de sa vie et de sa
mémoire. Une chose est certaine, pour des femmes et des hommes de
toutes cultures et religions et même des incroyants, on reconnaît
en Jésus une grande figure de l’humanité. Mais souvent
ils en restent là. Beaucoup d’admiration pour Jésus.
Et après…
En posant cette question : « qui suis-je? »,
Jésus se pose des questions sur lui-même. Rien de plus normal.
Nous le faisons tous et toutes heureusement à bien des moments de
notre vie. Mais d’expérience, on le sait aussi, quand, dans
un couple ou même dans une relation d’amitié, l’un
demande à l’autre : qui suis-je pour toi? C’est
que, le plus souvent, il y a un nuage à l’horizon. Alors ce
peut être une étape importante pour l’avenir de la relation.
En posant la question à l’autre, ne se la pose-t-on pas à soi-même?
Qui suis-je pour toi? Au fond, qui suis-je? Gardons cela entre nous, avons-nous
le goût de dire…
De ses disciples, pas plus que de nous aujourd’hui, Jésus
n’attend une réponse unanime. Ce qu’il leur demande,
c’est ce qu’il représente pour eux. Les disciples sont-ils
capables de lui faire confiance à ce point qu’ils y voient
le visage humain de Dieu. Jésus dit : cela se passe entre moi
et vous. N’en parlez pas, gardons cela entre nous…
Si on posait cette question à des personnes autour de nous
ici dans notre milieu, quels types de réponses aurions-nous, à un
moment où individus ou groupes ont du mal à dire leur foi
en Jésus? Lorsque, dans les médias, un artiste ou une personne
politique affirme sa foi, tout le monde est surpris de cette bravoure.
Comment cette connaissance de Jésus se transmet-elle? Cette relation à la
mémoire de Jésus se vivra de diverses manières, en
fonction de chacune de nos histoires personnelles. Chacune et chacun, nous
avons notre chemin de rencontre avec Jésus. Il n’y a pas de
chemin tout tracé. Cette connaissance, Jésus le dit à Pierre,
vient du Père.
Mais il y a deux voies privilégiées : celle de
l’expérience personnelle et celle de l’expérience
communautaire, deux voies qui se rejoignent. Notre expérience de
vie personnelle, notre expérience de foi personnelle; là où on
se pose la question : qui suis-je en regard de la vie, en regard de
mon expérience de foi, de ma mémoire de Jésus? Si
on répond aussi vivement que Pierre, c’est que le Père
nous a révélé quelque chose de lui, c’est que
la vie nous a révélé quelque chose de lui. Alors continuons
le travail, continuons les pistes de réponses et d’interrogations.
N’est-ce pas cela la foi?
Mais cette expérience personnelle ne peut se vivre sans l’expérience
communautaire. Quand nous nous rassemblons pour faire l’eucharistie,
pour célébrer le pardon pour prier ensemble, c’est
là que nous pouvons nous donner des débuts de réponse
ensemble, c’est là que nous pouvons faire l’expérience
de ce que Pierre voulait dire en affirmant fortement « tu es
le Messie ».
Pierre a répondu vivement : « Tu es le Messie,
le Fils du Dieu vivant! » Jésus semble lui dire :
si tu crois à ce point, maintenant avec ce que tu es, tes grandeurs
et tes faiblesses, mets–toi au travail pour en aider d’autres.
Tu es une pierre vivante sur laquelle tu peux construire une vie dans la
suite de ce que j’ai voulu vivre avec vous. Prends-la tête.
Ne serait-ce pas cela devenir responsable dans l’Église? Tout à coup
ce serait cela la responsabilité de Pierre dans l’Église.
Pierre, tu as un rôle important et significatif à jouer, et
cela malgré toutes ces limites. Si tu consens à ce travail : « Je
te donnerai les clefs du Royaume ». On est alors loin de la
mise en place d’une primauté structurée, à un
point tel qu’elle risquerait d’enfermer nos expériences
de foi et de reconnaissance de Jésus à même nos cheminements
et nos engagements dans le monde.
Jésus dit à ses disciples : ce qui vient de se passer
entre nous, n’en parlez pas maintenant. Quand je ne serai plus là,
il faudra bien que quelqu’un en parle. Et qui d’autres que
vous, dit-il à ses disciples et à Pierre. Et qui d’autres
que nous aujourd’hui peuvent continuer de chercher et de tenter de
dire, de transmettre qui est Jésus.
Nous vivons, autant dans notre expérience croyante, que dans la
culture et la société, des changements profonds à bien
des niveaux. Pourquoi ne pas regarder tout simplement devant soi, faire
confiance à cet homme magnifique et à qui Pierre a dit : « Tu
es le Fils du Dieu vivant. » À nous maintenant de relever
le défi…