II
Timothée 4, 6-8, 16-18
Matthieu 16, 13-19
Dans le cercle intime des disciples – un peu à l’écart
de la foule qui est toujours attirée par Jésus – une
question qu’il adresse, Jésus, à cette petite assemblée
des plus proches, les premiers à s’être mis en marche à sa
suite : Qui est le Fils de l’homme d’après
ce que disent les hommes? Et les réponses fusent. On rapporte
des noms entendus ici ou là : Élie, Jean-Baptiste, Jérémie… Des
noms de prophètes, de révélateurs de Dieu, d’envoyés
de Dieu. Et Jésus reprend la question. De manière plus directe,
plus personnelle, cette fois : Vous, que dites-vous? Qui suis-je
pour vous?
Cette fois un seul répond. Simon-Pierre, l’impétueux,
l’enthousiaste spontané, souvent trop spontané. Tu
es le Fils du Dieu vivant! Pas « un » envoyé de
Dieu; « l »’envoyé de Dieu. Le seul,
l’unique, le définitif envoyé de Dieu. Aussi bien dire :
Dieu lui-même. Une réponse qui ne vient pas seulement de la
fougue habituelle de Pierre, mais de sa confiance en Jésus et en
sa parole. Une réponse qui vient de la foi. Une foi donnée
d’en haut, mais reçue, acceptée par Pierre en sa vie
d’homme, son expérience d’homme. Une réponse, dira
Jésus, qui ne vient pas seulement de la chair et du sang,
mais qui passe bien par la chair et le sang d’un homme faillible
qui a connu et connaîtra encore des doutes, des arrêts, des
retours en arrière. Je ne connais pas cet homme, dira Pierre
au jour de la passion où l’espérance semblait à jamais
vaincue. Une foi qui cependant tiendra le coup et sera ravivée ce
matin-là, au bord du lac, quand Jésus posera le regard sur
Pierre et lui demandera par trois fois : Pierre, m’aimes-tu,
m’aimes-tu vraiment? Une foi née de l’amour, qui
mène à l’amour, à l’origine de la réponse
de Pierre. Une réponse donnée par l’Esprit de Dieu,
mais qui prend sa réalité dans la personne entière
de Pierre, avec ses faiblesses comme avec son ardeur et son audace – qui
semble même parfois un peu fanfaronne.
La réponse de Pierre que Jésus, à son tour, reçoit
et accueille : Pierre, tu es Pierre. Tu es vulnérable,
faillible, mais toujours chez toi ce fond de solidité robuste. Tu
es le roc sur lequel se bâtira mon Église, mon rassemblement
de croyants et de croyantes, mon peuple toujours en marche, en construction
d’unité et de vérité, en marche de foi et d’espérance.
Un accueil de Jésus à cette réponse de Pierre qui
est comme le symbole des réponses personnelles de tous les disciples,
99le modèle des autres réponses à travers temps et
espace. Retenons en ce jour particulier le choix étonnant de Jésus.
Comme fondement, base et appui de ce peuple nouveau qu’il vient rassembler,
il choisit un homme que l’on peut dire de pleine humanité,
avec ses grandeurs, ses forces, comme avec ses peines, ses petitesses,
ses hésitations. En pleine humanité, comme il a voulu, Jésus,
venir jusqu’à nous. En pleine humanité. Mais tout se
transforme, tout devient possible dans la reconnaissance et la confiance
mutuelles, dans la foi qu’éclaire une affection, un attachement
qui sait pardonner et recevoir le pardon. Une foi qu’éclairent
un véritable amour. Tout se transforme, tout devient possible, comme
ce nom qui change : Simon, désormais tu es Pierre!
Un choix étonnant de Jésus quand il veut assurer l’avenir
de sa présence et de sa mission sur cette terre et en ce monde,
la mémoire de sa Parole, l’efficacité de son salut
pour le bonheur de tous. Un premier homme, Pierre, et un autre encore :
Paul. Là aussi un homme venu de loin vers Jésus. Paul, d’abord
Saul le défenseur zélé d’une tradition, d’un
judaïsme qui n’a que faire de la Parole de ce prophète
de Galilée qui menace l’ordre spirituel et public. Un prophète – une
Parole surtout – qu’il faut combattre, enrayer. Comme le dira
plus tard le grand inquisiteur de Dostoïevski, il faut combattre celui
qui vient enseigner l’espérance.
Paul, lui aussi terrassé par la lumière de l’Esprit,
envahi par la grâce, et qui accepte et accueille cet envahissement
qui le transforme. Qui le transforme? Pas vraiment. Son zèle, son
ardeur, l’acuité de sa pensée et de son regard sur
Dieu, sur la relation entre Dieu et nous, tout cela est conservé et
mis au service d’une Parole reconnue comme vraie parce que libératrice.
Une Parole qu’il faut faire entendre aux quatre vents du monde. Une
Parole sans frontières de langue, de culture : Il n’y
a plus ni Juif, ni Grec, ni païen; mais des hommes et des femmes
libérés, exposés à la bienveillance, à la
grâce de Dieu. Une Parole si forte, si porteuse de sens qu’il
lui faut comme espace le monde entier.
Encore ici un homme faillible, avec défauts et qualités,
mais qui est aussi tout entier – tel qu’il est – un homme
de confiance, de foi, de service ardent et responsable. Il n’est
plus Saul, mais Paul qui défend désormais la mémoire
et l’avenir d’une Parole que d’abord il jugeait subversive,
qu’il fallait craindre et combattre dans la peur.
Nous sommes dans l’action de grâce en présence de
cette autre merveille de Dieu : au début de notre rassemblement
en communion avec le Christ, en communion et partage entre nous et avec
nos frères et sœurs du monde entier, il y a eu ce désir
et cette volonté que tout repose et soit construit sur la foi, l’ardeur
et le travail d’hommes et de femmes semblables à nous, capables
comme nous d’accueillir un appel, un don, avec foi.
Nous voulons surtout, ce matin, entendre cette parole qui nous est adressée : Pour
vous, qui suis-je vraiment? Entendre cette question et répondre
personnellement, tel que nous sommes, chacun, chacune d’entre nous.
Répondre, confiants que la réponse que nous donnons vient
tout autant de notre chair et de notre sang que du don de l’Esprit
qui rend tout possible, qui renouvelle même notre propre nom. Confiants
aussi que cette réponse nous la donnons en communion et partage
avec tant d’autres qui, comme nous, sont les témoins d’une
foi et d’une espérance. Confiants parce qu’ensemble,
au nom d’un amour, nous pouvons prendre part aux combats de notre
monde.
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