Osée 6, 3-6
Matthieu 9, 9-13
« Ce que je désire, c’est l’amour, non
le sacrifice, la connaissance de Dieu, non les holocaustes ». Ces
paroles tirées du Prophète Osée, reprises en partie
par Jésus dans l’Évangile, remettent en question
une certaine idée de la pratique religieuse encore présente
dans notre monde. Elles mettent l’accent non pas sur les pratiques
rituelles, qu’elles soient liturgiques ou pieuses, mais sur l’amour,
la compassion, la miséricorde comme attitude fondamentale à adopter
dans la vie devant Dieu. Voilà ce que Dieu désire, voilà ce
qui lui plaît.
C’est à l’occasion de l’appel ou de la vocation
de Matthieu que Jésus est amené à faire sienne cette
affirmation si forte du prophète Osée. Qui était Matthieu
au moment où il attend l’appel de Jésus? Selon les
traductions on en fait un publicain, un péager ou un collecteur
d’impôts. Sous ces vocables, on désigne quelqu’un
qui percevait des impôts ou des taxes, probablement sur les marchandises
en transit.
Ce qui, pour les juifs, était inacceptable, c’est que des
juifs acceptent de faire ce sale boulot pour le compte de l’occupant
romain. Ils voyaient en eux des collaborateurs, c’est-à-dire
des traîtres, sans compter qu’on les soupçonnait d’en
détourner une partie à leur profit. Que Jésus choisisse
l’un de ses disciples parmi ces collabos et ces voleurs était,
aux yeux des juifs pieux, comme les pharisiens, tout simplement scandaleux.
Il fallait refuser de les côtoyer, il fallait les exclure de son
entourage.
Or, nous dit le récit de Matthieu, « comme Jésus était à table à la
maison », beaucoup de publicains et de pécheurs vinrent
prendre place avec lui et ses disciples ». Les récits
parallèles de Marc et Luc, qui relatent la vocation de Matthieu
(sous le nom de Lévi), précisent que c’est Matthieu
lui-même qui offre à Jésus le repas, même un « banquet »,
et qu’il y a invité des amis publicains comme lui et des pécheurs,
c’est-à-dire des gens qui, pour une raison ou l’autre,
transgressaient la loi que tout bon juif se devait de mettre en pratique
pour être en règle avec Dieu. Les pharisiens en sont scandalisés
et le disent aux disciples : « Pourquoi votre maître
mangent-ils avec les publicains et les pécheurs? » Jésus
qui les a entendus répond magnifiquement : ce ne sont
pas les bien-portants qui ont besoin du médecin, mais les malades.
Allez apprendre ce que signifie cette parole de l’Écriture : « Je
veux la miséricorde (la compassion), non les sacrifices (les pratiques
cultuelles) ».
Comme c’est souvent le cas chez Jésus, le geste précède
la parole. Par son comportement, il manifeste déjà qu’il
est du côté de ceux qui sont méprisés, exclus,
pécheurs. Ce que Dieu attend de nous, ce qu’il désire, ce
qui plaît à Dieu, c’est moins les pratiques extérieures,
disons-le les pratiques liturgiques, les actes de dévotion, les
pénitences, que l’ouverture du cœur à la misère,
matérielle ou spirituelle, d’autrui. C’est l’amour,
dit Osée, la miséricorde ou la compassion, dit Jésus,
qui plaît à Dieu, qu’il attend de nous, qu’il
désire plus que tout.
A première vue, l’attitude et la parole de Jésus heurtent
les convictions de la plupart des gens religieux. Le bon musulman n’est-il
pas celui qui se soumet à la Charia? Le bon Juif n’est-il
pas un observateur fidèle de la Thora? Un bon catholique,
n’est-ce pas quelqu’un qui s’applique à mettre
en pratique les commandements de Dieu et de l’Église? L’Église
elle-même ne condamne-t-elle pas les comportements déviants,
non conformes à l’interprétation qu’elle donne
des commandements? Elle n’hésite pas d’ailleurs à excommunier,
donc à exclure de la communion de l’Église, des personnes
dont les comportements sont à ses yeux inacceptables.
Précisons tout de suite que Jésus ne fait pas ici l’éloge
des déviants, des marginalisés, des pécheurs. Il a été lui-même
un observateur fidèle de la loi. Il s’est soumis aux observances
juives de son époque. Pour Matthieu, en particulier, Jésus
ne vient pas abolir la loi, mais l’accomplir, la porter à sa
perfection. Ce que Jésus dénonce, c’est l’hypocrisie
de ceux qui se targuent d’observer fidèlement et minutieusement
la loi, mais négligent l’essentiel : la miséricorde,
la compassion, l’amour de l’autre, surtout lorsqu’il
est faible, pauvre, méprisé. Pour lui, ce n’est
pas en condamnant, en méprisant et en excluant qu’on peut
aider ceux et celles qui vivent dans la marginalité, quelle qu’elle
soit. C’est en adoptant un comportement positif, en leur montrant
de la compassion, en essayant de comprendre leur situation ou leur état
d’esprit, en manifestant que, malgré leurs errements, on les
aime… qu’on peut le mieux leur rendre service, leur apporter,
peut-être, un peu de lumière et d’espoir.
« Allez… nous dit Jésus, allez… apprendre »,
c’est-à-dire mettez-vous en route, faites l’apprentissage
que l’amour, la compassion, la miséricorde font plus de bien que
la condamnation, le mépris et l’exclusion. Allez apprendre que
les gestes de bonté et de compassion sont pour les gens méprisés
ou exclus une passerelle qui conduit au dialogue, à l’ouverture, à une
compréhension mutuelle qui peut éventuellement les enrichir et
nous enrichir. Cette attitude positive ne signifie pas que les gens méprisés,
marginalisés ou pécheurs vont changer de conduite, se rallier à nos
valeurs, adopter notre point de vue ou celui de l’Église. Ces
gestes sont comme une petite semence qui tombe dans un terrain tantôt
fertile tantôt aride, mais qui tôt ou tard, à la grâce
de Dieu, peut donner du fruit.
C’est ce que Jésus veut nous apprendre dans cet évangile.
La vocation de Matthieu en est une illustration. Dieu seul sait ce que
l’amour et l’espoir semés dans le cœur d’autrui
peuvent produire. Ce qui est certain, c’est que l’accueil,
la compassion, l’amour offrent plus de possibilités de cheminement,
de progrès, d’espoir que la condamnation et l’exclusion.
Il est vrai qu’il n’est pas facile de mettre en pratique l’accueil
de l’autre dans ses différences et dans ce qui peut paraître à nos
yeux des errements ou même des déviances. C’est pourquoi
Jésus nous invite à cheminer nous aussi : « Allez… apprendre… ».
Il nous invite à nous mettre en route, à aller, malgré nos
réticences, malgré nos répugnances, à la rencontre
d’autrui. Peut-être apprendrons-nous en même temps que
nous avons autant à recevoir qu’à donner!
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