Il en va des événements qui disent les origines comme des
photos de famille. Plus le temps passe, moins on reconnaît les détails,
et plus on porte dessus un regard distancié. Ainsi pour les récits
de la Pentecôte et leur héritage. Deux récits pour
nous parler de l’Esprit, tels des photos de famille. Le récit
des Actes est tout en bruits, tout en couleurs, de feu, et de langues,
d’enthousiasme communicatif, un bruit qui devient de plus en plus
fort avec la rumeur. Cet Esprit, c’est un souffle nouveau et fort
qui ouvre les disciples à d’autres dimensions de la
vie.
Le récit rapporté par l’Évangéliste
Jean, est tout en discrétion, portes closes, murmure d’un
souffle léger et, par deux fois, souhait de paix. Pas n’importe
quelle paix, mais « ma paix » dit Jésus. Ce
récit veut les déverrouiller, les sortir de leur peur
de l’autre. Ce sont les rescapés d’une aventure d’espérance
vécue pendant quelques années avec Jésus. Sa mort
avait tout anéanti.
Comme eux, nous en avons besoin de cette libération, nous la souhaitons,
même si nous nous reconnaissons plus ou moins dans ces descriptions
si imagées. Mais admettons que, comme dans les récits que
nous venons d’entendre, nous sommes de peur et de souffle. Ce qui
compte, ce ne sont pas les manifestations extérieures, c’est
la Pentecôte intérieure qui refait, qui donne des ailes aux
disciples pour bâtir l’unité dans la diversité,
la communion dans la divergence. Nous sommes, nous, en un temps d’Église
où nous avons besoin de retrouver du souffle, de retrouver le goût
et le courage, avec une saine humilité, de ne plus taire ce
que nous sommes, et même, quand l’occasion est propice, de
dire notre foi. La Pentecôte est bienvenue…
Ces récits nous rappellent que Jésus ne nous a pas laissés
orphelins. « Je pars, mais je vais vous envoyer mon Esprit ».
Il veut dire son Esprit de liberté et de paix; paix qui dit aussi
le pardon de nous-même d’abord et des autres et surtout la
confiance. Il nous a laissé son Esprit. Ce n’est pas une abstraction.
Rappelons-nous ce soir du Jeudi : ce pain et ce vin c’est mon
corps :« Prenez et partagez » nous a-t-il dit.
C’est maintenant notre responsabilité. Nous les partageons
dans son souvenir, dans son Esprit. N’est-ce pas à travers
ce geste simple et fort qu’on reconnaît, qu’on sent l’Esprit
de Dieu en nous? Les verrous sont à l’intérieur de
nous. Les murs et les blindages sont d’abord en nous. La peur dévore à l’intérieur,
elle épuise l’énergie, elle stérilise, elle
aveugle. Nous connaissons bien ces choses.
Parlant de la peur… Dans un de ses ouvrages, Timothy Radcliffe,
un dominicain que tout le monde connaît, je crois, écrivait
ceci : « Pendant mes neufs années de maître
de l’Ordre, j’ai voyagé autour du monde dans bien des
endroits dangereux. J’ai vu la guerre civile et le génocide
en Afrique, des milliers de lépreux, les signes d’une violence
sans limites. Mais quand je suis revenu en occident, j’ai vu des
gens qui semblaient plus effrayés que partout ailleurs. » (Les
sept dernières paroles du Christ, Paris, Cerf, 2004, p.83.)
Il ne s’agit pas de nier la peur, elle fait partie de notre humanité.
Le défi n’est pas d’ignore la peur, mais de ne pas nous
y laisser enfermer. Oui, nos peurs peuvent nous paralyser. Et si nous n’y
prenons pas garde, elles peuvent nous « verrouiller » sur
nous-mêmes. Aux disciples anxieux, Jésus veut d’abord
donner la paix. Ce n’est pas une paix ordinaire. La paix c’est
l’accueil de Dieu, l’accord avec Dieu. C’est habiter
déjà le monde réconcilié, lumineux, enfin humain.
Jésus répète le vœu de paix comme pour l’enraciner
au plus profond en eux. Il veut leur dire la parole qui ouvre l’avenir : « Je
vous envoie ». Une poussée qui surgit du cœur mystérieux
de l’univers.
L’Esprit incite au pardon les uns les autres. Les disciples vont
dehors, libérés de leur peur. Serait-il en train de recommencer
le monde, l’homme, de le créer à nouveau, un nouveau
souffle? « Recevez l’Esprit Saint. » Oui, il
donne à ces hommes de refaire sans cesse le monde. Tous différents,
mais en recherche d’un même esprit. De même qu’ici à St-Albert,
on est tellement différents et pourtant, il me semble que, à quelque
part, on se comprend, on cherche ensemble.
N’y a-t-il pas une peur des chrétiens au Québec? Peut-être
parce qu’on aurait du mal à pardonner à se pardonner; à nous
reconnaître sur les vieilles photos d’un christianisme passé.
On est invité à nous reconstruire avec des chrétiens
différents dans une culture qui évolue rapidement, tout comme
nous somme différents les uns des autres, ici à St-Albert,
et que nous arrivons, j’en suis sûr à nous parler, à faire
quelque chose ensemble, à bâtir et à habiter notre
foi dans notre monde. J’ose croire que nous n’habitons
plus une religion de peur et d’exclusion, mais une foi qui ouvre
des portes à l’humanité au souvenir de celle de Jésus,
humanité que nous vivons et que nous tentons de construire chez-nous.
La paix, c’est un parcours… En préparant cette célébration
quelqu’un a dit : « Le monde est foutu, mais la vie
est belle », faisant allusion à ce film La vita e
bella dans lequel un père essaie de rendre la vie belle à un
enfant dans un univers infernal. La vie, la paix, c’est la confiance,
le souffle dans ce parcours; on est pas seul. C’est la persévérance
du souffle.
Je termine avec une citation du poète Gaston Miron. Et je la crois
fort appropriée pour le souffle de la Pentecôte et notre situation
présente en Église au Québec : « Il
n’est pas question de laisser tomber notre espérance. » Il
parlait certainement de tous nos espoirs. Pour ma part, je nous parle
aussi de l’espérance chrétienne, l’espérance
de l’Évangile.