Retrouver l’essentiel de
la vie
Si près du début du carême; en plein temps de carnaval
et du super dimanche pour les sportifs ou les amateurs d’émotions
fortes ou de nouvelles publicités, nous sommes ici ce midi à entendre
une parole qui a de quoi nous interroger. Trois passages qui se rejoignent
dans cet appel à la vie, à se mettre en mouvement, en marche, à nous
remettre, si cela est nécessaire, à espérer pour retrouver
l’essentiel de la vie. L’essentiel et l’avenir de la vie
ne sont certainement pas dans une volonté de puissance, mais dans
une attitude d’ouverture, de regard lucide sur les situations, dans
un esprit de pauvreté.
Un même appel à des siècles de distance. Le prophète
Sophonie (7e s.a J.-C.) invite « tous les humbles du pays ».
En quelque sorte, ce prophète nous invite à chercher
la justice et l’humilité et à nous remettre à chercher
Dieu. C’est un appel large, mais qui interrroge nos façons de
nous comporter au quotidien.
Des siècles plus tard, Paul, à son tour, nous redit que Dieu
a choisi ce qu’il y a de plus faible dans le monde, pour confondre
ceux et celles qui se prennent trop pour des sages et on en connaît… Quel
renversement! On a parfois peine à croire que cela est possible…
Et cette incantation célèbre : « Bienheureux,
Bienheureux… », qu’on a tellement entendue qu’on
a peine à écouter encore et à croire au renversement
de nos façons d’être et de vivre qu’elles peuvent
provoquer. Jésus ouvre le plus haut chemin du bonheur. Jésus
nous invite d’une drôle de manière à nous remettre
en mouvement, à rattraper la vie. Se remettre en mouvement, c’est
consentir à repartir, sans encombrements. Ce n’est pas s’écraser
dans une sorte de résignation devant la vie, mais de retrouver la
soif et la faim de l’autre et de Dieu. Nous en avons l’expérience :
quand nous sommes malades et obligés de nous arrêter, lorsqu’on
croit à la guérison, il est nécessaire de faire les
efforts de nous remettre en mouvement, n’est-ce pas ça la vie?
Heureux les pauvres de cœur, les doux… Ce ne sont pas des mots
démobilisateurs, c’est une provocation. J’ai envie de
dire : « c’est le début d’un temps nouveau! » ou,
autrement dit, c’est le Royaume en travail parmi nous. Gandhi disait
qu’on n’a jamais rien proclamé sur terre de plus élevé et
de plus beau que les béatitudes. Et il ajoutait « c’est
ce sermon qui m’a fait aimer le Christ ».
« Heureux les pauvres de cœur, Heureux ceux qui pleurent… » Qu’est-ce
que c’est que d’être pauvre de cœur, d’être
doux, d’être juste? Interrogez–vous, dit Jésus,
sur ce que vous devenez. De quoi ai-je soif? De quoi ai-je le désir?
Les béatitudes nous disent que ce que nous portons de plus précieux,
c’est notre désir, notre foi, notre attente. Dieu est là.
Au fond, revenez à l’essentiel de la vie, de cette vie que Jésus
a vécu en actions et non seulement en paroles. Paul fait le passage;
vivre n’est pas d’avoir un pouvoir sur les autres, mais se fier
sur les autres, accepter d’être fragile, rester fidèles
aux enjeux et aux manières de vivre proposées par l’Évangile. « Ce
qu’il y a de plus faible dans le monde, voilà ce que Dieu
a choisi. »
Je crois que ces passages et surtout la proclamation des béatitudes
en ce dimanche sont d’actualité. Depuis plusieurs années,
l’image de l’expérience chrétienne au Québec
s’est profondément modifiée. Je ne vous apprends rien
en disant cela. D’un christianisme québécois fort, même
puissant, il y a à peine quelques années, on est passé à un
christianisme plus humble, très effacé, souvent démobilisé.
Une institution d’église forte nous portait. Maintenant, nous
devons devenir les uns les autres et ensemble, oui, dans l’humilité,
responsables de notre vie, de notre foi et de tenter de construire autrement
notre façon de vivre l’Évangile, de devenir communauté vivante.
Au fond, et les béatitudes nous le rappellent, nous sommes convoqués
comme chrétiens à un retour à l’essentiel. Nous
sommes invités à nous accueillir tel que nous sommes
devenus, pour nous remettre en mouvement, en tenant compte des autres, des
autres traditions religieuses et culturelles. Il y un appel à une
sorte de refondation de notre expérience chrétienne commune
au Québec. La fidélité à soi-même, aux
autres et à l’Évangile n’est pas de répéter,
mais d’inventer de développer un nouveau regard. Retrouver confiance
en l’Évangile, ne pas avoir peur. N’est-ce pas le chemin
ouvert par les béatitudes : faire attention à l’autre,
apprendre la vie simple, apprendre à regarder et à agir…
Les béatitudes et les deux autres passages bibliques entendus, celui
de Sophonie et de Paul, nous y invitent à retrouver ce mouvement
de foi en la vie et au Dieu de Jésus, cette sorte de feu qui couvre
sous la cendre et que nous devons raviver. Tiens! ce sera l’image que
nous tenterons de nous proposer pour le carême qui commence ce
mercredi.
En somme, les béatitudes, c’est le mouvement de retour à l’essentiel,
là où on peut ensemble construire une vie accueillante, espérante,
là où l’accueil de l’Évangile est toujours
ouvert et à reprendre. Nous rappeler que ce qui compte d’abord,
ce n’est pas ce que j’ai, mais ce que je suis. L’essentiel,
c’est de développer la transparence du regard sur les autres,
de comprendre que le bonheur est en nous, tout proche, au plus intime. La
recherche de Dieu est à ce prix; souvenons-nous de Jésus. Et
je dirais en pensant d’abord à nous tous et à la situation
de notre expérience chrétienne au Québec : Heureux
qui accueille d’un cœur neuf le message d’une provocation,
d’une interpellation pourtant si ancienne, mais qui nous ramène
au cœur de la vie. Et l’essentiel, n’est-ce pas la qualité de l’avenir
de notre vie, en retrouvant des attitudes de faim, de soif, de justice et
d’attention aux autres et à Dieu. « La foi, dit Jean-Claude
Guillebaud, ce n’est pas de s’en remettre à ‘une
vérité‘, c’est une décision de se
mettre en chemin et d’espérer ». N’est-ce pas
la route des béatitudes?