« Je ne le connaissais pas… »
Étrange découverte que fait Jean Baptiste. Il s’aperçoit
tout à coup qu’il ne connaissait pas vraiment son cousin, Jésus.
Il le dit deux fois plutôt qu’une. Un aveu d’ignorance
de sa part. Cela ressemble à certaines de nos histoires de famille… D’expérience,
on le sait, il nous arrive souvent de vivre près de certaines personnes — un
parent, un ami, un voisin — et tout à coup de les découvrir
sous un angle qu’on n’avait pas remarqué jusque-là.
N’est-ce pas l’expérience étrange que vit Jean
Baptiste et que le passage de l’évangile qu’on vient d’entendre
nous rapporte. Comment pourrait-il présenter à ses contemporains
quelqu’un qu’il ne connaissait pas?
Comme tout bon juif de son temps, Jean Baptiste vivait dans l’attente
du Messie. Un Messie qui viendrait avec puissance… Jésus, ne
correspondait pas à cette image. Jean Baptiste s’ouvre les yeux
et les oreilles : « J’ai vu l’Esprit descendre
du ciel comme une colombe et demeurer sur lui. » Quelle magnifique
vision poétique! Cette fois-ci la découverte est de taille.
Jean commence à voir, son désir s’ouvre, s’élargit;
il est plus attentif à ce qui se passe; il se laisser étonner… par
le nouveau, l’inattendu, par la découverte qu’il fait tout à coup.
Son cousin Jésus est plus grand que lui, il le dépasse; il
le laisse passer; il lui laisse toute la place. N’est-ce pas lui le
Messie? Jean en est maintenant assuré. L’Esprit de Dieu est à l’œuvre
et on est porté à le croire. Jean reconnaît Jésus
comme un envoyé de Dieu… Il est même prêt à laisser
son baptême d’eau, qui avait un succès énorme,
pour laisser tout le sens au baptême de Jésus. Ce n’est
pas rien : non plus un baptême seulement pour effacer les péchés,
mais un baptême dans l’Esprit, pour la vie, pour l’avenir.
Jean est un passeur, comme nous le sommes parfois.
Quand il vit venir Jésus au Jourdain pour se faire baptiser, Jean
Baptiste dit : « Voici l’Agneau de Dieu ».
Une image qu’on n’aime pas particulièrement de nos jours,
mais une image qui va faire la différence. C’est cet « Agneau
de Dieu » qui va oser prendre la parole et poser des gestes
jusqu’à risquer la mort. Jésus, c’est cet homme
qui va présenter l’autre joue, prier pour ses ennemis, qui va
conseiller de donner encore son manteau à celui qui a déjà pris
la chemise, de faire deux kilomètres avec celui qui demande un kilomètre.
C’est l’Agneau de Dieu qui est doux et humble de cœur,
qui ne fait pas descendre le feu du ciel sur les Samaritains, des étrangers,
et qui ne condamne pas la femme adultère. C’est l’Agneau
de Dieu qui donne sa vie pour ses amis. Sa faiblesse apparaît
comme une force, c’est sa blessure qui nous guérit. Jésus
capable de nous re-créer de l’intérieur. N’est-ce
pas cela enlever le péché du monde?
Je pense, quand on regarde nos histoires personnelles, qu’on a pu
vivre, toute proportion gardée, des moments de découverte comme
celui-là. Il y a eu dans notre histoire et dans notre histoire
de foi chrétienne des prophètes comme Jean Baptiste qui ont
vu des choses, qui les ont dites; qui ont amené des changements dans
la vie; des femmes et des hommes qui ont vu et qui se sont effacés
pour laisser la place à d’autres. Vous en avez certainement
en mémoire.
Aujourd’hui, comment reconnaître un prophète? Comment
dire : « J’ai vu et j’en rend témoignage »?
Quand je reconnais un prophète, ai-je les mots pour le dire? Le prophète
offre une lumière sur nos réalités, la lumière
dont parlait Isaïe dans la première lecture; elle éclaire
notre présent et notre avenir. La lumière peut nous permettre
de chercher ensemble. Nous sommes parfois de ces témoins, sans trop
le savoir sans trop se faire confiance. Comme Jean Baptiste, nous sommes
des passeurs de vie et de foi. Je donne deux exemples.
Le premier. Je pense à nous tous qui sommes ici, mais en particulier
aux jeunes parents qui viennent à des célébrations
avec leurs enfants. Avec leurs enfants, ces parents ont à faire des
pas dans la recherche du sens de la vie, du sens de la foi. Que ce soit pour
les accompagner dans le geste de première communion ou de confirmation.
Je sens que l’Esprit est au cœur de ce que ces parents essaient de
vivre et de faire vivre. Je les vois chanter, prier dans une dimension d’intériorité.
Vous êtes, à votre façon, des passeurs qui essayez de
faire voir quelque chose d’autres à vos enfants, pour bâtir
un monde meilleur à l’image de ce que Jean Baptiste et Jésus
ont désiré voir surgir. Faites-vous confiance, faites confiance
dans le souffle en vous.
Je pense aussi à ce que nous tentons de faire dans nos liturgies
dominicales ou de plus en plus de membres de l’assemblée prennent
la parole. Avec humour, je dirais que je me sens, mais toute proportion gardée — et
je le vis bien — un peu comme Jean Baptiste qui doit laisser la place
aux autres. Je fais mon petit Jean Baptiste avec vous tous et toutes, pour
qu’ensemble, en assemblée et dans nos engagements, nous gardions
vivante la mémoire de Jésus. Regardons : il n’y
a que la bonté, la compassion, la patience qui vont donner du souffle,
de l’avenir au monde, enlever le péché du monde, comme
le dit Jean Baptiste; pas les approches musclées. C’est d’abord
dans le cœur que tout cela se joue!