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27e Dimanche du temps ordinaire (C)

7 octobre 2007

Ranimer notre espérance

Denis Tesson

Denis Tesson

Habacuc, 1, 2-3; 2, 2-4

Luc 17, 5-10


En vous lisant ce fragment d’évangile, j’ai essayé de communiquer le malaise que j’ai ressenti à la première lecture. Malaise déjà éprouvé dans l’extrait d’Habacuc.
Au cours des deux dernières semaines, je me suis progressivement réconcilié avec ces textes déroutants et je voudrais refaire avec vous ce parcours qui permettrait de rendre grâce aujourd’hui malgré eux.
Des textes qui offrent au moins trois occasions de rébellion :

  • Quand Habacuc prie Dieu de soulager les souffrances du peuple d’Israël, le prophète s’entend répondre : aie confiance, un jour ça arrivera, mais n’insiste pas, ce serait de l’insolence!

  • Aux Apôtres qui demandent ‘Augmente en nous la Foi’ Jésus répond de façon blessante : pour songer à l’augmenter, encore faudrait-il que vous en ayez le moindrement, et ça se remarquerait.

  • Et le comble, c’est la dernière phrase : après avoir passé la journée à travailler et la soirée à servir le maître, dites-vous : ‘nous sommes des serviteurs quelconques, nous n’avons fait que notre devoir’ – Comme renforcement positif, on peut rêver mieux.

Et, en réponse au maître méprisant, me vient aux lèvres ce beau cri des anarchistes : ni Dieu, ni Maître!



‘Ni Dieu, ni maître!’ Cela sonne étrange pour moi qui ai été élevé dans la vénération des ‘martyrs vendéens’, mes ancêtres. Leur slogan était ‘Pour Dieu et pour le Roi!’. Une foi exaltée au nom de laquelle, crucifix en tête, ils chargeaient à la fourche les troupes de la Révolution.
Avoir la foi, quelle foi et pour quoi?

  • Avoir la foi profonde des nomades de Mauritanie qu’évoquait Claire de Ravinel. Proches de la nature, conscients de leur fragilité, extrêmement démunis, mais rendant grâce plusieurs fois par jour des bienfaits dont ils sont comblés.

  • Ou la foi toute simple des personnes qui se dévouent au jour le jour. Celles qui, modestement, admettent que les voies de Dieu sont mystérieuses et qu’il nous faut laisser Dieu être Dieu.

Donc croire en la bienveillance de Dieu et en mon insignifiance… Suis-je trop orgueilleux, trop insolent, pour vivre de cette foi-là?
Suis-je, sommes-nous, trop comblés par la vie?

  • Pour avoir la foi du paralytique. Celui à qui Jésus dit : ‘Ta foi t’a sauvé’. Un paralytique maudit de tous et se méprisant lui-même.

  • De nos jours aussi, il semble que, chez les Alcooliques Anonymes, la première étape de la guérison, c’est de reconnaître que seul Dieu, ou toute autre façon de le nommer, peut me guérir de la dépendance.

Donc m’efforcer de croire en Dieu pour ne pas désespérer, s’accrocher à Dieu pour ne pas se pendre…
Au plus profond de moi, je résiste à croire.
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Reprenons le texte. Les disciples ne disent pas : ‘Nous aimerions tellement avoir la foi!’ mais : ‘toi, Jésus, tu peux augmenter notre foi’. Notre foi en toi et en nous. Fais que nous ayons confiance en nos capacités et toi, fais-nous confiance. Car la confiance en notre capacité d’engagement et de renaissance pourrait bien n’être que le reflet de la confiance qu’on nous témoigne.
Il me semble que nous touchons l’essentiel : Jésus se sentait habité par la confiance de celui qu’il appelait son Père. Une confiance qui lui a fait trouver le sens de sa vie : dès lors, tout le travail de Jésus a été de redonner confiance : une confiance qui guérit et qui sauve, une confiance qui accomplit des miracles.
Attentifs aux enseignements de leur ami Jésus, il me semble que les disciples ont pu avoir cette intuition : il faudrait être capable de voir l’autre plus grand que ses actes, capable de pardonner… Faire plus confiance à l’autre, faire plus confiance à soi-même. ‘Seigneur, aide-nous à progresser en cela’ : une demande raisonnable, de la part des disciples, qui aimeraient être à la hauteur. Non, semble répondre Jésus, ce qui est exigé pour me suivre, c’est quelque chose de déraisonnable, d’excessif. Un saut dans le vide, un pari, une décision auxquels vous n’êtes pas prêts. Vous n’imaginez pas ce que cela implique.
Car Jésus n’a pas apporté de réponse à l’absurdité de la vie. Il a sans doute réalisé tôt qu’il finirait rejeté, abandonné, renié. Jésus n’a pas fait la révolution. Il a fait modestement son œuvre de vérité, au profit de quelques dizaines de personnes rencontrées au hasard de la route. Et c’est un parcours qui mène à la Croix.



Parmi les personnes que nous reconnaissons comme des chrétiens modèles, il y a Mère Teresa, l’Abbé Pierre, Pops plus près de nous… D’après ce que nous savons de leur vie intérieure, ils s’avouent de faibles croyants, habités par le doute et la désespérance, mais d’un inlassable dévouement. Ils n’ont pas toujours cru en Dieu, mais ils n’ont jamais désespéré de l’humain.
La foi, pour nous, serviteurs quelconques d’aujourd’hui, le noyau dur de nos croyances,  pourrait être d’abord une foi en l’humain, une espérance. Donc une décision de croire dans le côté lumineux de l’humanité. Faute d’une meilleure expression, disons croire en l’Esprit de Dieu. Faire le pari qu’il y a, au cœur de chaque humain, cet intime besoin de gratuité, ce profond désir d’aimer. On peut décider d’y croire, on peut consacrer sa vie à faire grandir cette foi en l’humain en risquant la confiance. On peut décider de s’y accrocher aux moments les plus sombres.
Cette foi, dès lors, n’est pas abstraite, elle est l’empreinte des personnes que nous essayons d’aimer et qui sont autant de visages de Jésus guérisseur ou de Jésus torturé. Cette foi, elle est le tissu des épreuves et des rencontres qui nous ont fait grandir plus vrais, plus libres… plus vulnérables aussi.



Tandis que nous bêchons ainsi notre si petit jardin, avec juste assez de foi en l’Esprit pour faire notre devoir, il nous arrivera de remarquer les petits miracles que la vie accomplit, mais, en personnes lucides, nous voyons surtout l’étendue vertigineuse des champs dévastés et l’insignifiance de nos réalisations.
Alors, nous aussi, nous entrons en tentation, alors nous aussi nous entrons en prière, pour entendre le Dieu de Jésus nous redire sa confiance et ranimer notre espérance. Et, parfois, nous saurions même rendre grâce pour la grandeur de cette triste condition humaine.

 


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