Des
interrogations premières
C’est l’Évangile des premières interrogations.
Les deux disciples suivaient Jésus à distance. Ils s’interrogeaient
sur cet homme que Jean le Baptiste vient de leur pointer du doigt.
En ce dimanche des retrouvailles, on est invité à accueillir
la question ou plutôt deux questions, les toutes premières de
l’Évangile, les toutes premières de la vie. Jésus
demande aux deux disciples, comme on le fait parfois pour aider quelqu’un : « Que
cherchez-vous? » Les disciples d’interroger à leur
tour : « Où demeures-tu? » Et l’on
comprend bien que cette dernière question n’attend pas un lieu,
une adresse comme réponse. La réponse ne peut être non
plus que verbale. La réponse n’est-elle pas une invitation (convocation) à se
mettre en marche, entraînés vers une demeure à bâtir, à habiter,
des personnes, toujours à découvrir, des gestes toujours à inventer.
Dieu habite où nous sommes…
Puisque, comme dans la vie courante, notre assemblée se refait en
cette fin d’été, je les reprends, ces questions, mais
en les interprétant : « Que cherchons-nous? » Au
fond, qu’est-ce qui habite nos vies, notre foi? Qu’est-ce qui
nous fait vivre? Qu’espérons-nous de nous–mêmes?
Que souhaitons-nous en venant participer à l’eucharistie dominicale,
semaine après semaine? Comment habitons-nous ce lieu, cet espace de
célébration qu’on désire le plus ouvert à Dieu
et aux autres? Est-ce une demeure habitable? Avons-nous le souci de mieux
connaître et rencontrer les personnes dans ce lieu? Toutes ces questions
nous rappellent que la foi, comme la vie est une aventure. L’espace
de la vie, l’espace de la découverte n’est-il pas à reprendre
constamment ces interrogations? Comment nous mettre à la « suite
de Jésus » pour reprendre une vieille expression? Vous
cherchez, regardez « Venez et voyez. »
Les deux disciples cherchaient Dieu; ils cherchaient à connaître
Jésus. C’est notre aventure. On se retrouve ensemble, on se
retrouve nous-même. Dans cet évangile, on perçoit en
quelque sorte l’écho de la demande de toujours, celle qui a
pris corps dans la question posée à Jésus par un disciple : « Maître,
où habites-tu? » Homme et femme, où êtes-vous?
Quels sont les lieux que Jésus nous invite à fréquenter
pour que la rencontre soit possible? Dans la remarque de Jésus — qui
n’est pas encore sa réponse — « Viens et vois » se
trouve la condition fondamentale, à savoir que toute réponse à la
demande de sens s’origine dans la volonté de s’aventurer;
qu’elle ne soit pas une réponse venue de l’extérieur,
mais qu’elle mette toujours en discussion notre propre monde intérieur
et s’en remette à notre capacité de chercher.
Ils allèrent dans sa maison, nous fait penser que l’Église
est, elle aussi, une habitation. Cette habitation dit justement le mouvement
de rassemblement, le fait d’être appelés à un point
commun de convergence, le fait de réunir des personnes de diverses
provenances et de multiples visages, des personnes dont la foi est chercheuse,
toujours en profonde interrogation. Je ne peux m’empêcher d’évoquer
ici Mère Thérèsa dont on parle beaucoup dans ces temps-ci
et qui en étonne plusieurs. Oui, si sa vie fut une action auprès
des plus pauvres, sa vie de foi semble avoir été souvent une
profonde interrogation sur Dieu, sur elle. Ne vivait-elle pas l’absence
de Dieu? « Où demeures-tu? » Cette question
devait la rejoindre. Comme elle devrait rejoindre chacune et chacun de nous.
Cette demeure est celle de femmes et d’hommes différents dans
leur condition de vie, différents aussi par leur provenance et dans
les expressions concrètes de leurs options de vie et de foi.
Souvent l’Église est devenue une maison trop fermée le
lieu de la séparation; une demeure dont la table es trop loin de ses
invités, au lieu d’être le lieu du rassemblement; une
table ouverte à toutes les personnes qui cherchent.
Jésus dit : « Suivez mon regard…voyez vous-mêmes ».
Il ne s’agit pas d’un ordre, juste un regard posé ou mieux
déposé du fond du cœur. Un regard n’a d’autre
force que son silence encore plus communicatif. Les disciples ont suivi son
regard et sont restés avec lui.
Venez et voyez! Mais quoi? La réponse est entre nos mains, celles
des individus si différents que nous sommes. La réponse est
celle de la communauté rassemblée que nous tentons d’être.
Avec l’espoir que nous sommes en chemin : que cherchez-vous? Où demeures-tu? «Venez
et voyez… » Une immense interrogation pour l’année
qui vient et, à cet égard, comme l’a écrit un
poète : « L’éternité n’est
pas de trop ».