5e Dimanche de Pâques C

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6 mai 2007

Yvon D. Gélinas

Yvon D. Gélinas

Apocalypse 21, 1-5a

Jean 13, 31-35

Le commandement nouveau

   

C’était au cours d’un repas. Son dernier repas avec ses amis, ses disciples. Tous pressentaient que c’était la dernière fois qu’ils étaient ainsi réunis. Le tragique, le définitif des heures à venir était prévisible. Tout est en place pour ces sombres heures. Il leur adresse la parole alors qu’ils forment un cercle d’intimes, pas toujours capables d’un même niveau de compréhension : les intérêts ne sont pas toujours du même ordre. Mais il y a de ces instants où au-delà de toutes les difficultés, de toutes les distances, les cœurs se rejoignent et s’épanchent. Ses paroles sont lourdes de sens et de conséquences. On les reprendra ces paroles, on les réunira à d’autres paroles, à d’autres gestes prononcées ou survenus en d’autres occasions au cours de ces années où ils ont fait route ensemble. Ses dernières paroles deviennent un discours d’adieux. On veut les reprendre sans cesse pour les mieux comprendre? Oui, et encore parce qu’elles le rendent présent chaque fois qu’on se les redit ensemble dans le partage des souvenirs, et maintenant, depuis les événements de sa mort et de sa vie glorifiée, dans le partage de la vie encore, dans le partage d’une nouvelle aventure, à sa suite toujours, dans son sillage.

Des paroles d’adieux qui sont devenues un testament spirituel. Le plus important des legs et des dons. Le don justement d’un commandement, ou plutôt d’une attitude, d’un comportement qui le continuent, le perpétuent, rendent encore efficaces sa parole de liberté et d’espérance, sa vie et ses gestes de salut, de partage, de vie redonnée, guérie, relancée. Un don qui tient en quelques mots : Aimez-vous les uns les autres. Un commandement nouveau, non pas parce qu’il n’a jamais été énoncé avant lui, mais parce qu’il prend maintenant une autre dimension : c’est le signe, la marque de ceux et celles qui ont été alertés, éveillés par sa parole, son comportement à lui que l’on peut reprendre à son propre compte L’amour que vous avez les uns pour les autres, sera le  signe de ma présence, de mon action en vous et par vous.

Ils n’ont pas sans doute bien compris ou tout saisi, les disciples, ce soir-là, à la veille de sa mort. Mais ils ont repris la consigne au cours des jours et des ans. Quand la peur revenait les enfermer en eux-mêmes; quand les difficultés venaient tout rendre impossible. Surtout, quand ils se demandaient : « Qu’aurait-il fait lui, en telle ou telle circonstance; qu’aurait-il dit? » - Aimez-vous les uns les autres, c’est mon grand, mon dernier commandement.
Cela semble heureux, facile, libérateur. Mais c’est aussi si complexe, si difficile quand ce n’est plus lui qui le dit, que la vie a suivi son cours, que le réel est toujours le même, complexe, imprévisible et inéluctable à la fois, si difficilement gérable. Mais ils ont tenu bon. Ils l’on répété l’impossible commandement. Ils l’ont transmis. Il est venu jusqu’à nous. Et nous le reprenons, toujours heureux de l’entendre, mais toujours inquiets et désemparés : « Est-ce possible? Comment faire? » Tant de ses disciples au cours du temps ont fait de ce commandement un poids très lourd qui écrasait ceux qui tentaient de le porter, ou bien qui embrigadait les autres au lieu de les libérer. Et puis, l’amour, cela ne se commande pas, c’est fugace, variable. Et tout ne peut être que de l’ordre du sentiment ou de l’émotion. Il y en a tant qui ne sont pas aimables, qu’il faudrait redresser, corriger, convertir! On pourrait allonger la liste de nos questions et de nos incertitudes. On pourrait allonger la liste, mais demeure toujours le point sensible, parfois douloureux, parfois exaltant : ce serait si beau, si grand d’y arriver à s’aimer les uns les autres. Comment?
Écoutons-le en ses paroles d’adieux, en son testament spirituel : Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. « Comme je vous ai aimés… » Aimés dans un regard, dans un sentiment venu du cœur, comme ce jour où voyant la foule qui le suivait comme un troupeau à la recherche d’un berger, d’un pasteur, il eut pitié, et alors il donna le pain à cette foule. Mais déjà il avait pris la parole devant une foule pour dire bienheureux ceux qui avaient faim et soif de justice, de paix, de consolation. Son amour n’était pas que paroles, que sentiments. Mais de sentiments et de paroles qui deviennent action pour l’autre, avec l’autre. « Comme je vous ai aimés » Une attitude, un comportement : ceux d’une vie partagée au quotidien, ceux – définitifs – d’une vie sacrifiée pour la libération, pour le bonheur des autres.

Son commandement que nous recueillons et reprenons est cela pour nous : une manière d’être, de vivre la vie, de traverser la vie du monde, d’agir sur et en ce monde. Une manière qui dépasse son propre intérêt, ou, mieux, fait entrer l’intérêt de l’autre en ses propres objectifs, réussites et accomplissements. Un don qui n’est pas refus ou destruction de soi, mais qui est partage. Partage dans l’attention envers tout et tous qui sont à l’extérieur de soi; partage dans l’écoute et dans le désir efficace de voir l’autre grandir et s’accomplir. Partage parfois sévère qui corrige, redresse, indique la voie à prendre, mais pas pour son propre plaisir, pour la satisfaction de se voir et de se sentir bon, mais pour la vie et le bonheur de l’autre. Aimer comme il a aimé, dans le regard qui oublie le visage souvent peu attrayant, peu attirant de l’autre et ne voit que le frère et la sœur qui sont embarqués dans la même aventure humaine. Aimer comme il a aimé, parce qu’il nous a fait don de son amour et nous a donné la possibilité d’aimer. Aimer comme il a aimé, et ainsi continuer sa présence, être sa présence au-delà des signes de l’absence, en ce monde qui serait autrement renvoyé à sa dureté, sa froideur, sa détresse, sa cruauté. Être le signe que ce n’est pas en vain qu’il est venu, qu’il a parlé, agi, soulevé les désirs et l’espérance.

Aimez-vous les uns les autres. Ne pas craindre, quand on accepte son don, qu’on reprend sa consigne, son ultime consigne au dernier soir de sa vie terrestre, au milieu du repas fraternel et chaleureux alors que tout est en place du drame et de la gloire à venir, ne pas craindre d’y aller avec l’émotion et le sentiment. C’est tout l’être qui est engagé dans cet amour : la tête et le cœur. C’est lui qui nous a dit que son Dieu, celui qu’il a voulu nous faire connaître, était souci de nous, bienveillant pour nous, désireux de notre bonheur. C’est de ce Dieu qu’il a reçu l’amour qu’il nous donna pour être partagé. De ce Dieu dont on disait tout à l’heure dans la lecture de l’Apocalypse qu’il essuiera toute larme de nos yeux. Si déjà on commençait ce geste de Dieu, si on s’efforçait d’essuyer tout larme des yeux les uns des autres? Ce serait peut-être le moyen de la faire vivre la consigne de Jésus : Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres!


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