5e Dimanche du Carême C
Jean-Claude
Breton
Jean-Claude Breton
Des fois, j’ai l’impression que si nous devions passer un examen d’évangile, comme on passait autrefois des examens de catéchisme, nous n’aurions pas tous des notes très fortes. Je sais que je devrais utiliser la première personne du singulier pour formuler semblables informations, mais je ne suis pas assez certain de mon originalité pour me croire obligé de me corriger. Je vais plutôt essayer de m’expliquer et de vous donner à comprendre ce qui me fait douter de ma compétence évangélique.
L’évangile de ce matin me semble un exemple particulièrement parlant de ce que j’appellerais l’étiquetage des récits évangéliques. Le carême tout entier se développe d’ailleurs autour de textes du même genre. Il y a le récit des tentations, celui de la transfiguration, celui de la résurrection de Lazare et celui de la femme adultère. Face à ces textes, nous avons développé, bien avant l’invention de l’ordinateur, le réflexe de fournir un contenu toujours identique sur simple présentation de la bonne adresse. Ainsi, il suffit de dire « le récit de la femme adultère » et vous voyez tout de suite apparaître le doigt qui écrit dans le sable et les aînés qui en prennent pour leur rhume. Comme si toute l’action de Jésus se résumait ici à se montrer généreux pour la femme adultère et sévère pour les hommes avancés en âge. Bien sûr que cette interprétation n’est pas complètement fausse et qu’elle peut s’avérer féconde à l’occasion, mais ce sur quoi je voudrais attirer notre attention, c’est le côté entendu du message. Un peu comme si l’évangile ne pouvait plus nous surprendre et si nous étions devenus comme ces prédicateurs d’autrefois qui avaient leur sermon (au singulier) pour chaque passage de l’évangile.
Quand je me parle ainsi devant vous, quand j’ai tendance à vous associer à ma situation, ce n’est pas seulement pour nous faire la morale, mais à partir de ma réaction à la lecture des deux autres lectures de la liturgie d’aujourd’hui. Il y a dans ces lectures un tel contraste dans le rapport à l’Écriture entre ce dont témoignent Isaïe et Paul et ce qui est devenu courrant dans notre Église. Au lieu de se conforter dans la répétition de la même chose, Isaïe et Paul évoquent, chacun à sa manière, la nouveauté dont se nourrit leur espérance. Revenons un peu à leur exemple.
Voici comment parle le Dieu dont Isaïe a fait l’expérience : « Ne vous souvenez plus des premiers événements, ne ressassez plus les faits d’autrefois. Voici que moi je vais faire du neuf qui déjà bourgeonne; ne le reconnaîtrez-vous pas? » C’est bien loin des sentiers battus dans lesquels nous nous empêtrons trop souvent.
Paul n’est
pas en reste. Dans le verset qui précède la lecture de ce matin,
il affirme considérer tous les gains de son ancienne vie comme perte à cause
du Christ et il enchaîne en disant : « …Oui, je considère
que tout est perte en regard de ce bien suprême qu’est la connaissance
de Jésus Christ mon Seigneur. » Voilà un bilan des pertes
et profits qui n’est pas coutumier dans le langage ecclésiastique.
On ne néglige pas autant les acquis, même si on affirme croire
en Jésus!
Alors
qu’est-ce que l’évangile de ce matin pourrait nous dire
si nous osions le lire vraiment comme un message d’espérance,
comme un trésor incommensurable à explorer aujourd’hui?
Il me semble qu’il faudrait d’abord procéder à un exercice d’identification des personnages pour aujourd’hui. Pour ce faire, je propose d’aller plus loin que de penser aux femmes adultères d’aujourd’hui. Il me semble qu’il faut aller jusqu’à se demander qui sont ceux et celles que les biens pensants, les hommes avancés en âge et qui se réclament du message de l’institution, qui sont amenés devant Jésus pour être accusés et condamnés? Vous avez le choix de réponses. Je vous mentionne quelques cas qui me sont passés par la tête : les divorcés remariés, les femmes qui ont eu recours à l’avortement, les homosexuels qui veulent se marier, et j’en passe sans doute.
Il faut aussi s’interroger sur qui sont les scribes et les pharisiens d’aujourd’hui qui amènent ces personnes devant Jésus. La notion de scribes a bien changé dans nos sociétés alphabétisées, mais il y a encore des scribouilleurs, faiseurs d’opinion, par l’écrit ou la parole médiatisée, qui ne se gênent pas pour intenter et mener des procès sur la place publique. Vous me direz qu’il y a en aussi parmi les théologiens qui se livrent parfois aux mêmes activités et je ne vous contredirai pas sur ce point. Quand aux pharisiens contemporains, ils ont encore leurs chaires de vérité pour déposer sur les épaules des autres le poids de leur enseignement pastoral, sacerdotal ou épiscopal.
Enfin, et c’est le plus important : qui osera reprendre les questions de Jésus, refaire son geste d’écriture dans le sable? Ou plutôt qui sont ceux qui osent aujourd’hui renverser les opinions convenues et les enseignements traditionnels? Nous sommes à la veille des élections : vous comprenez mon hésitation à donner des noms! Prenons quelques exemples éloignés, question de suggérer des visages concrets comme l’abbé Pierre et Jean Vanier. Ils ne sont probablement pas seuls et je serais même porté à croire qu’ils ont plein d’imitateurs un peu partout, autour de nous, même près de nous. Mais des personnes que nous ne connaissons pas toujours, parce qu’elles sont discrètes d’une part, et parce que nous ne sommes pas toujours rapides à les identifier et surtout à les accepter, d’autre part. Pensez-y, il y en a même probablement dans notre assemblée, si nous acceptons de faire un petit effort pour les reconnaître…
C’est risqué de jouer au petit jeu que je viens de vous proposer. On risque de se tromper. On risque de blesser des personnes par ailleurs estimées dans la communauté. On risque de se voir interpellé par l’évangile et de se trouver questionné dans les plus solides certitudes. Y a-t-il un autre chemin qui puisse nous brancher sur Jésus et nous faire vivre de son évangile? Vous pouvez me répondre oui et me suggérer de retourner faire mes devoirs; vous aurez peut-être raison de penser ainsi. Je ne veux pas avoir raison à tout prix, surtout que j’ai un vague sentiment que cela pourrait avoir des conséquences pour moi aussi. Mais je persiste et continue de me demander : le chemin que nous trace Jésus aujourd’hui ne passe-t-il pas encore par des messages écrits dans le sable, et qui nous concernent?
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