6e Dimanche du Temps Ordinaire C

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11 février 2007

Les Béatitudes dans nos déserts 

Claire Blanchard de Ravinel

Claire Blanchard de Ravinel

Luc 6, 17. 20-26

PREMIÈRE PARTIE : INTRODUCTION

Il y a quelques semaines, j’ai eu l’occasion de vivre dans le désert de Mauritanie, auprès de  populations nomades et sédentarisées, très démunies sur le plan matériel. Une association française à laquelle j’appartiens s’y rend plusieurs fois par année pour y faire du travail humanitaire.

En ce dimanche, où les béatitudes sont au cœur de la prière liturgique, je suis heureuse de partager avec vous ces quelques réflexions que m’ont inspirées ces hommes, ces femmes et ces enfants qui, selon moi, vivent l’esprit des Dans le désertbéatitudes.

Heureux les affligés car ils seront consolés

Vous, peuples des déserts, qui vivez dans cet environnement aride et inhospitalier, votre seule raison de vivre est-elle de survivre à la faim, au froid des nuits d’hiver, au manque de soins?

Quelle est cette espérance qui habite le fond de vos cœurs et qui, malgré tout, vous aide à garder le sourire, à être enthousiastes et à partager le peu que vous possédez?  Recevrez-vous ici-bas quelque consolation? Ou votre  regard porte-t-il si loin que vous pouvez entrevoir une terre promise où tous vos maux disparaîtront? Avec vous, je le souhaite tellement!

Heureux les cœurs purs car ils verront Dieu.

Petite Fatimatou, rencontrée un dimanche matin près de ta tente de nomades, ton sourire m’a profondément touchée. Malgré ton strabisme sévère, je te trouvais si belle. Tu m’as pris la main et tu as glissé un bracelet à mon bras. Tu avais froid; je t’ai offert une couverture que tu as serrée contre toi. 

Jamais je n’oublierai ce lien d’humanité  qui nous a unies  l’une à  l’autre et ma tristesse aussi, sachant quelle vie difficile allait être la tienne.

Un jour, j’espère, tu verras Dieu mais déjà, toi par ta présence, par ta façon d’accueillir l’étrangère que j’étais,  tu m’as permis de Le voir à travers toi.  

Heureux les doux car ils recevront la terre en héritage.

Matin frisquet dans le désert. Les tout petits, vous  grelottez alors que nous sommes bien au chaud avec nos polars et vestons. Je sais que je n’aurai pas assez de chandails. Discrètement, j’en donne quelques-uns. Aucune plainte ou récrimination de la part des autres. Qui sourient, me regardent, espèrent sans doute. Que puis-je leur donner encore sinon mon sourire?

La terre reçue est ingrate, mais belle dans sa nudité et la douceur de ses dunes. Cette terre à recevoir un jour en héritage, puisse-t-elle être aussi belle et surtout capable de réchauffer et de nourrir tous ses enfants.

Heureux les affamés et les assoiffés de justice car ils seront rassasiés.

Farida,  Salma, Abdoulai vous possédez si peu de choses; dans la hutte ou la tente où vous vivez, quelques couvertures, un petit réchaud, des plats et deux casseroles;  vous n’avez ni compte en banque, ni garde manger, ni placards débordants de vêtements.

Vous êtes dans le présent alors que nous, nous nous inquiétons sans cesse du futur et accumulons, par crainte de  lendemains incertains.

Oui, je vous crois plus près de Dieu parce que vous êtes davantage à l’écoute, plus attentifs à l’autre, à sa présence. Les possessions matérielles ne vous encombrent pas. Vous êtes libres et ainsi plus sensibles à reconnaître et à apprivoiser l’Essentiel.

Heureux les pauvres en esprit car le royaume de Dieu est à eux.

Petites filles qui vous extasiez à la vue d’une poupée de laine. Enfants qui sautez de joie lorsque je vous montre cette photo que je viens de prendre et où vous vous reconnaissez.

A mon tour je suis émue par votre simplicité et votre cœur d’enfant encore tout neuf, si joyeux. Tout est merveille pour vous. Je songe alors à nos enfants d’ici, à leurs désirs agonisants et à leur avidité insatiable parce qu’ils sont tellement choyés sur le plan matériel.   

En regardant vivre ces petits, je me sens plus près  du Royaume de Dieu mais je sais aussi que, dans mon quotidien, j’ai souvent tendance à m’en éloigner.      

Heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu.

Femmes et enfants du désert, vous nous avez souvent tendu la main, nous offrant les dattes de la dernière récolte, les carottes du jardin communautaire ou nous accueillant dans votre case avec joie et simplicité. Qui alors venait en aide à qui? Privilège pour moi de partager cette intimité. Dans le respect et la paix. 

Oui, la paix. Car jamais les bruits de bombes et de mitraillettes n’atteignent le désert. Sait-on même qu’ils existent? Pour moi, vous êtes fils et filles de paix et, à ce titre, on peut aussi vous appeler fils et filles de Dieu.


DEUXIÈME PARTIE : HOMÉLIE - Quelle espérance pour les riches?

Le hasard des naissances a fait en sorte que, la plupart d’entre nous, avons vu le jour dans un pays riche, sur une terre capable de nourrir tous ceux et celles  qui l’habitent. Bien que la vie de chacun d’entre nous soit jalonnée de jours sombres, à cause des deuils et des épreuves de toutes sortes, nous avons généralement été  épargnés par les guerres, les injustices raciales, les famines. Sur le plan matériel, il faut le reconnaître, nous sommes des privilégiés.

Mais, nous ne le savons que trop, grand est le malheur dans le monde. Journaux et télé nous projettent, à longueur de journée, des images de réfugiés, d’affamés, d’êtres souffrants pour de multiples raisons. Sans oublier les problèmes liés au réchauffement de la planète.

 Nous vivons tous un immense sentiment d’impuissance devant tant de détresse et de misères de toutes sortes. Comment réagir? Que puis-je faire, moi, citoyenne d’un pays nanti?

C’est à chacun et chacune d’y répondre… Mais personne ne peut éluder la question.

*  *  *

On m’a dit : pourquoi vas-tu en Mauritanie, alors qu’il y a tant à faire ici? C’est vrai, mais cette voie c’est celle que j’ai choisie malgré le défi que représentait pour moi cette mission humanitaire.

Oui, j’ai trouvé là-bas des conditions de vie difficiles, j’ai physiquement souffert, il m’est arrivé de pleurer parce que la tâche m’apparaissait trop lourde. J’ai aussi connu de  grandes joies, en particulier  dans la rencontre de  ces Maures, jeunes et vieux, dont le dénuement n’éveillait non pas ma pitié mais mon admiration.

Le désert c’est là où se côtoient splendeur et dénuement; c’est  la plénitude de ces dunes de sable qui s’étendent à l’infini et dont la beauté est saisissante mais c’est aussi l’aridité des regs, de ces terres de caillasse où vivent  les familles qui se sont sédentarisées.

Oui, c’est moi qui ai choisi de vivre au milieu de ce désert. Où j’ai pu être plus viscéralement en contact avec mes propres misères et celles, plus visibles, des Mauritaniens.

Une source en moi se sentait sans doute tarie qui fait que j’avais besoin de vivre cette expérience. J’avais quitté St-Albert, j’y reviens aujourd’hui et on me donne cette chance de réfléchir avec vous sur ce texte des béatitudes revisitée à la lumière d’une telle traversée.
      
Je demeure toutefois bien consciente que c’est à travers le spectre de nos normes de confort, de nos possessions et de nos désirs jamais assouvis que j’ai vu vivre ces Mauritaniens du désert. Mais j’ai aussi ressenti, qu’exempts de plusieurs de nos angoisses, ils nous indiquaient un chemin sur lequel nous pourrions vivre plus sereins, plus dépouillés

*  *  *

Mais il n’y a pas que  les déserts lointains de Mauritanie; il y a près de chacun de nous d’autres types  de déserts dont celui de la solitude, de l’isolement, de la pauvreté sous toutes ses formes. Des déserts qui nous interpellent, nous attirent mais que l’on ne peut ignorer, me semble t-il.

Beaucoup d’actions humanitaires se posent dans l’anonymat des associations, des regroupements communautaires ou de l’aide individuelle apportée au fil des jours. Dans les journaux ou les nouvelles, on fait rarement mention de tout  ce « bien » qui se fait, se vit, un peu partout. Ces gestes mille fois posés dans le silence, il est bon de s’en souvenir sinon nous pourrions facilement tomber dans le défaitisme devant les horreurs et le mal qui s’étalent sous nos yeux, témoignant aussi des misères de notre humanité.

Il est bon alors de nous rappeler, de temps en temps « qu’un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse… »

Oui, ici, ailleurs, bien des personnes mieux nanties quittent régulièrement le confort de leur demeure, leur vie paisible et vont là où leur cœur et leurs talents les poussent. De différentes façons, elles vont aider, prendre soin, collaborer avec ceux et celles dont les moyens sont infiniment plus restreints. Aujourd’hui même, à St-Albert, notre temps, notre générosité sont sollicités pour soutenir notre comité Aide-Partage qui, en notre nom, peut répondre aux demandes qui lui sont adressées.

Et dans le respect de ce que sont les plus démunis, sans condescendance, dans le partage de son temps, des savoirs, des traditions, toute aide apportée par les mieux portants, par ceux et celles qui sont matériellement plus confortables, s’inscrit dans l’esprit des béatitudes.

 Pourtant, le Christ a dit : malheur à vous les riches, les repus, les joyeux; vous avez déjà reçu votre récompense. Cette phrase de l’Évangile nous interpelle tous et toutes. Selon moi, ce n’est pas là une condamnation mais une incitation au partage sous toutes ses formes et même  un appel à  nous remettre en question, à nous convertir.

Moi, j’ai spontanément envie de dire : bienheureux les privilégiés qui sont attentifs et soucieux de donner non seulement leur superflu, mais aussi le meilleur de leur temps et de leur talents. Ce qui implique des changements de comportements, dans une société hyper assurée qui souhaiterait éliminer le plus grand nombre possible de risques.

 Bienheureux les riches qui ne peuvent s’endormir tranquilles le soir, sachant qu’ici et ailleurs, des humains gèlent ou se couchent le ventre creux, incapables de croire en des lendemains meilleurs. S’il est bien de s’endormir inquiet, il est mieux encore de se réveiller prêt à l’action.

 Bienheureux enfin les riches qui, au lieu de continuer à accumuler des biens pour faire taire leur insécurité, acceptent d’être bousculés dans leurs habitudes et certitudes. Et qui sont capables de renoncer à certaines de leurs possessions… de partager leurs temps et leur précieuse disponibilité. C’est sûrement, là aussi, une façon de se convertir.

 Je crois que là réside l’espérance des riches. Dans la capacité qui est la leur d’aller au-devant de ceux et celles qui ont besoin de leur expertise et compétences.

*    *    *

On doit continuer à se demander chacun, chacune d’entre nous, qui ne pouvons échapper au fait d’être privilégiés, où et comment agir?

Suis-je prêt, prête à véritablement me laisser désencombrer pour vivre à ma façon, dans mon milieu ou ailleurs, l’esprit des béatitudes? Suis-je disposée à me dépouiller un peu plus, à partager de mon temps et de mes biens pour vivre dans un plus grand esprit de pauvreté qui s’incarnera dans des actions et des gestes sans cesse à inventer et à renouveler?

Pensant à ceux et celles qui vivent la simplicité involontaire, dans quelle mesure suis-je prête à vivre une plus grande simplicité volontaire?

La réponse à de telles questions ne surgit pas instantanément. Elle suppose, de notre part, de la réflexion, du temps de silence intérieur aussi. Nous donnons-nous suffisamment ce temps d’arrêt pour réfléchir à notre engagement, à la lumière de l’Évangile?

Nous pourrions également nous inspirer de l’exemple de Farida, de Selma, de Fatimatou qui, dans leur dénuement, vivent le moment présent, sont heureuses de ce qu’elles reçoivent en surcroît, n’accumulent pas en fonction des imprévus et, à leur manière, vivent l’esprit des béatitudes.

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