L'Épiphanie

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7 janvier 2007

Jean-Claude Breton
Jean-Claude Breton

Ép. 3, 2-3a; 5-6

Mt 2, 1-12

Le ciel, c'est les autres

Les mages ont été guidés par une étoile dans le ciel. Cela a servi à les identifier et à nourrir beaucoup de récits imaginaires sur leur savoir. Cela a contribué encore une fois à faire référence au ciel dans l’expérience de la foi. L’étoile perdue et retrouvée n’est-elle pas, dans l’esprit du récit de ce matin, le signe évident que la vérité se trouve dans le ciel. On pourrait continuer en affirmant que, dès lors, le monde, notre monde et celui du méchant Hérode, n’est lieu que de fausseté, de déception et de méchanceté. Et cette position va être exposée et défendue tout au long des textes évangéliques consacrés à la mission de Jésus. RoisMages

Seulement chez Luc, l’évangéliste qui nous accompagnera en cette année liturgique, on compte de nombreuses références au ciel. Déjà à sa naissance, Jésus est accompagné par une armée céleste, qui chante le fameux « Gloire à Dieu… » À son baptême, une voix se fera entendre du ciel; plus tard, le ciel sera invoqué au moment de la multiplication des pains, va revenir comme parole venant de la nuée le jour de la transfiguration, comme lieu d’où peut venir un feu vengeur, lieu de la récompense (perdue) de Capharnaüm, lieu de la paix promise et lieu où conduit la résurrection. Lieu de Dieu, le ciel va servir pour nommer le « Père, Seigneur du ciel… » ou encore le qualifier de « Père céleste », sans compter qu’un « signe venu du ciel » aurait été bienvenu pour identifier la mission de Jésus. Le ciel va presque devenir divin, pour ne pas dire Dieu lui-même. Difficile d’évacuer la référence au ciel du discours chrétien, même si Luc le fait pour sa version du « Notre-Père », où il enlève le « qui es aux cieux »!

Mais cela pose question au croyant que je suis. Sans être un spécialiste de notre système solaire et malgré mon ignorance sur le monde des planètes, j’éprouve énormément de difficultés à vivre ma foi dans le ciel, ou plus délicatement, en référence au ciel. Non seulement je ne suis pas certain que Dieu demeure au ciel, je doute fort aussi que notre salut doive venir du ciel et de ses anges. Comment se sortir de ce dilemme où nous sommes presque forcés de dire notre foi en référence au ciel tout en trouvant presque irrecevables les affirmations anciennes sur le ciel? Je m’y suis déjà essayé, mais sans grand succès. Certains d’entre vous se souviendront peut-être d’une homélie que j’avais proposée pour la fête de l’ascension où je disais avec Jésus qu’il faudrait arrêter de regarder vers le ciel. Cette explication me semblait bien reçue, jusqu’au « Notre-Père » justement. Le qui « es aux cieux » a provoqué quelques sourires, qui me redisaient la difficulté d’écarter le ciel de notre discours croyant. Vous voyez le dilemme. Se référer toujours au ciel, au point de presque identifier le ciel et Dieu ne va plus de soi. Mais vouloir écarter la référence au ciel semble presque impossible, tant notre foi s’est construite et dite en référence au ciel. Que faire et qu’est-ce que les mages peuvent nous apprendre dans leur expérience chargée de symbolisme?

Il sera probablement bien utile d’identifier ce que signifiait le ciel dans le langage des anciens pour pouvoir utiliser ce mot et lui trouver un sens pour nous. À première vue et je dirais même à l’évidence, le ciel signifie un ailleurs, un endroit autre que celui qui nous est familier, un lieu non terrestre. En plus, on voit que ce lieu est favorable et qu’il n’en vient que du bien, si les terriens ont été fidèles bien sûr. Enfin, ce lieu est associé à Dieu. C’est sa demeure, c’est même le lieu à partir duquel il parle; c’est presque Dieu.

Est-il possible à des personnes comme nous, à des contemporains des vols spatiaux et du voyage sur la lune d’investir le mot ciel de toutes ces significations? Commençons par le commencement : la dimension étrangère, autre du ciel. Il nous faut presque passer par la psychologie des anciens pour identifier le ciel comme le lieu de la différence, de l’altérité, tant il nous est devenu connu et proche. Dans notre expérience religieuse, le « ciel du bon Dieu » est presque le lieu de réconfort par excellence. En tout cas, il est lieu d’espérance de beaucoup de personnes âgées qui aspirent à leur demeure tranquille du ciel et il fait partie du discours qu’on emprunte pour parler aux enfants du lieu de récompense atteints par les défunts. Nous devons réapprendre à voir le ciel comme un ailleurs, comme un lieu qui veut dire l’altérité de Dieu. En ce sens, notre Père qui est aux cieux serait un père bien loin, s’il ne nous avait pas envoyé son Fils pour se faire mieux connaître!

Le ciel dont parle la foi n’est pas un lieu terrestre; ce n’est pas le prolongement aéré, ou aérien de notre monde. C’est le monde de Dieu, de ses anges, de sa miséricorde et de sa justice. Ce n’est pas un lieu qui laisse indifférent, ou qu’on pourrait oublier. Il faut en tenir compte pour bien conduire notre vie. Lieu de récompense éventuelle, il peut nous échapper et nous renvoyer dans son contraire : l’enfer.

Mais où se trouve-t-il aujourd’hui? Qu’est-ce qui peut nous servir de ciel dans notre expérience de foi actuelle? Qu’est-ce que les mages de ce matin ont à dire à ce sujet? Cette fois-ci, je commencerai par la fin : les mages. Peu importe ce qui est vraiment arrivé autour de la naissance de Jésus, les personnages dont Matthieu parle dans l’épisode de ce matin sont des complets étrangers à la foi d’Israël et à la nôtre. Ils cherchent un roi et se laissent guider par une étoile. Essayer de trouver dans toute la Bible, dans l’Ancien et le Nouveau testament, un autre passage où il serait dit que le messie, le roi à venir sera identifié par des étrangers guidés par une étoile. Le mage, c’est l’autre par excellence de la foi. Et pourtant, le mage est aussi celui qui joue un rôle décisif dans l’identification de Jésus.

Traditionnellement, on a dit de la fête d’aujourd’hui qu’elle était la fête de l’accueil de l’autre, de l’étranger dans la communauté des croyants. Il y avait de la place pour tout le monde autour du berceau de Jésus; il y aura donc de la place pour tout le monde dans son Église.

En passant par la référence au ciel, en considérant son rôle d’autre dérangeant et éclairant, je dirais que la fête d’aujourd’hui est aussi et surtout celle de la reconnaissance de l’autre, de l’étranger dans l’expérience de foi. L’autre n’est plus seulement celui que j’invite à se joindre à ma communauté croyante, il est celui qui est indispensable à la foi de ma communauté. Comme les mages, dans la réalité ou dans le récit peu importe, ont servi à identifier Jésus à l’origine, je crois que les étrangers de notre monde, ceux qui représentent cette différence qu’on localisait autrefois dans le ciel, que ces croyants différents ont un rôle à jouer pour faire de nous d’authentiques et vrais croyants. Je sais qu’il n’est pas évident de penser que les musulmans, les hindous, les bouddhistes et les autres peuvent améliorer notre façon de suivre Jésus. Nous n’en sommes qu’au début de notre dialogue avec eux et nous apprenons tout juste à nous reconnaître dans le respect. Mais si nous refusons le service qu’il nous offre, ne risquons-nous pas de devenir les nouveaux Hérode de l’histoire? Que l’Esprit qui a aidé nos ancêtres dans la foi à trouver Dieu aussi dans le ciel nous soutienne aujourd’hui à le découvrir dans l’autre, qui est notre ciel à nous!


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