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Communauté chrétienne
Saint-Albert-Le-Grand à Montréal |
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Le premier commandement
5 novembre 2006
31e dimanche du temps ordinaire B
Il me semble que le texte de l’Ancien Testament et
celui de l’Évangile résument bien l’histoire de
la relation de Dieu avec son peuple : Une pédagogie au cours de laquelle
Dieu, initialement en compétition avec des idoles, se révèle
progressivement, du côté des humains, tout proche, puis, s’incarnant
en Jésus, fait comprendre qu’on ne le découvre qu’à travers
l’amour donné aux autres.
Le scribe est le bon interprête de
ceux qui, en leur temps, se sentent interpellés par la conduite de Jésus : « On
te voit avec les exclus, avec nos ennemis romains, avec des amis ramassés
au hasard du chemin… Souvent, tu viens prêcher dans le temple mais
quand tu pries, tu t’en vas loin du temple… Tu sembles mépriser
nos prêtres et nos rites… Au nom de quoi fais-tu tout cela qui
nous paraît étrange et incohérent? Quelles sont tes valeurs?
Avons-nous les mêmes croyances? » : Une autre façon
de demander : Qui es-tu?
La réponse de Jésus, qui
sera plus tard commentée par Paul et par Jean pour les premières
communautés croyantes, elle est simple : aimer Dieu et aimer son prochain,
c’est tout comme, et j’aimerais réfléchir avec vous
sur cette équivalence, sur cet amour de soi, de Dieu et du prochain,
dans un monde individualiste et qui ignore Dieu, notre monde. En somme, nous
aider à dire qui est Dieu pour nous, après 2000 ans de tradition
chrétienne.
Celle qui m’a initié à la
foi, ma grand-mère, évoquait souvent le premier commandement… « et
le second qui lui est semblable ». C’est au nom du Christ
que ma grand-mère pratiquait une authentique charité qui lui
faisait visiter les malades et les pauvres et qui la rendait toujours disponible.
Elle s’interdisait de juger les gens. Je l’entends encore me dire :
« je ne veux pas le juger, c’est quelqu’un qui souffre
beaucoup et qui a beaucoup besoin de nous et de nos prières » ou
encore, une fois que je louais sa générosité elle m’avait
répondu : « non, mon grand, je suis au contraire moi
aussi très égoïste
mais, chaque jour, je prie le Bon Dieu qu’il m’aide à l’être
un peu moins ».
Je connais une personne qui pratique la
charité aussi bien que ma grand mère, mais qui est incroyante
et politiquement sceptique (genre ni Marx ni Jésus). Apprivoiser l’autre,
lui redonner confiance, témoigner de la dignité de ce qui est
compté pour rien, c’est une passion exigeante qui s’impose à elle
comme une évidence. Elle non plus ne condamne pas et voit l’autre
comme un frère en humanité en qui elle se reconnaît avec ses
forces et ses limites, son besoin de l’autre pour exister. Elle dit :
« Je ne le fais pas pour eux, j’ai l’impression que
je le fais pour moi, parce que j’en ai besoin. Ça m’aide à me
recentrer sur l’essentiel. » En somme, donner sa confiance
pour se faire confiance.
Dans un cas comme dans l’autre, c’est
beaucoup d’efforts et c’est un travail de construction de soi.
L’une, ma grand-mère, confiante dans le Seigneur et dans l’efficacité de
la prière, œuvrait de tout son cœur pour que les personnes se sentent
aimées et voulait se rendre de plus en plus digne de l’amour de
Dieu. L’autre, ma contemporaine, met son intelligence et sa force pour
que les paumés reprennent confiance et elle se découvre plus
forte, plus généreuse et terriblement attachée à ceux
qu’elle aide.
Envers nos plus proches, nos intimes, l’exigence
est plus grande : établir la confiance qui permet d’être
vrai. Non seulement voir la personne au-delà de ses actes, voir le prochain
qui me ressemble, mais faire confiance à l’ami pour oser dire
ce qui blesse et accepter d’entendre des reproches. Et c’est avec
ceux que nous aimons le plus que nous expérimentons à quel point
l’amour est insuffisant, car celui qu’on aime est un écorché vif
et son amour nous étouffe (et réciproquement bien sûr!).
Et, à la moindre contrariété, l’autre (ou moi) explose :
« et tu prétends que tu m’aimes! »… Amours
humaines! Que de décryptage, que de ‘Bonne Volonté’ pour
que l’amour s’échange entre deux êtres.
Mais si c'était ainsi, en mettant tous nos efforts pour vivre en harmonie
avec ce qui est le meilleur en nous, que nous étions fidèles à ce
qui nous habite et que nous appelons Dieu? Si Dieu n’était que ce
qu’il y a de meilleur en chaque être humain? Si c'était çela
aimer Dieu : être fidèle au meilleur de nous-mêmes et
ainsi arriver à lui être fidèle, en le laissant advenir en
nous?
Il y a encore un pas à faire, le plus difficile, et c’est de consentir à être le prochain de quelqu’un. Notre vie, c’est aussi les deuils, la confiance trahie, l’échec et la maladie. C’est alors seulement par les autres que nous survivons. Au fond de la dépression ou sur le lit d’agonie, des très proches ou des Samaritains de hasard font que la vie et l’amour continuent de rayonner pour nous. Consentir à n’être en vie que par les autres, c’est un terrible arrachement, et une autre image de Dieu se dessine, coïncidant avec Jésus crucifié. C’est Dieu le tout-impuissant, qui prend le risque de s’en remettre à l’autre pour exister. Dieu, un infini d’amour qui n’existe que par les humains et en qui nous voudrions nous dissoudre pour, qui sait, renaître tout autre.
Écoute, Israël du temps présent, Dieu est l’Unique. Unique à chacun, unique à chaque moment de notre vie. Dieu qui dévoile une partie de son mystère à chaque rencontre où nous essayons d’être vrai et aimant de tout notre cœur, de toute notre force et de toute notre intelligence. Dieu, qui ne commande rien, Dieu au cœur de notre humanité. Dieu que, au fond, nous ne savons pas nommer mais que nous essayons d’accueillir et de prier.
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