Communauté chrétienne Saint-Albert-Le-Grand de Montréal

Les Sans-voix

« J’ai crié et personne n’a répondu; j’ai demandé à boire et à manger, je n’ai pas vu l’ombre d’un verre d’eau et d’un bout de pain; j’ai demandé un lit et je n’ai eu que le sol détrempé pour m’étendre; j’ai tendu la main et je n’ai reçu que du vide. J’ai perçu des regards qui se détournaient… J’ai 15 ans. Je suis couvert de boue et j’empeste l’urine, la sueur qu’exhale mon corps épuisé et mon short sale, troué. Trois ouragans m’ont enlevé toutes forces ainsi qu’à mon peuple, celui que l’on dit le plus pauvre de la terre…

Où sont tous mes frères humains? Où est le Dieu qui prend soin des pauvres? Pourquoi suis-je abandonné? Qu’ai-je fait pour mériter cela? Je ne sais pas où sont mes parents ou même s’ils sont encore de ce monde. Je suis seul, atrocement seul, entouré parfois d’hommes aux casques bleus qui protègent avec leurs mitraillettes de gros camions qui passent sur la route défoncée pour aller je ne sais où, avec peut-être un peu de nourriture pour des gens d’ailleurs dans d’autres villages. Je ne me suis rien mis sous la dent depuis trois jours déjà. J’ai soif. La seule eau à boire est brune, puante, dégoûtante. J’ai faim : j’ai déterré quelques racines, j’ai attrapé une salamandre. Cela a été toute ma chance. Avec des copains ce soir, j’irai défoncer un abri de nourriture ou ce que nous pensons être tel. Nous n’en pouvons plus : il en va de notre vie. Nous avons l’énergie de notre désespoir… »

Pourquoi, à la télé, on donne plus d’importance au prix du pétrole, aux grosses faillites boursières, aux ouragans chez les riches, aux trésors du Qatar et des Émirats arabes qui construisent des montagnes de neige dans d’immenses immeubles avec un 50 degrés Celsius à l’extérieur? Dites-moi, pourquoi dépense-t-on quatre milliards de dollars pour un accélérateur de particules atomiques en vue de découvrir une énième autre infime particule qui n’existera qu’un milliardième de seconde? Dites-moi pourquoi des gens en Espagne organisent des combats de rue en se lançant des tonnes de tomates alors qu’il y a tant de démunis qui ont besoin de vitamines? Pourquoi près de la moitié de l’humanité ne gagne pas deux dollars par jour alors que d’autres engrangent des millions en poussant une rondelle ou en s’élançant sur des petites balles de golf. Elle est où la justice? Qui mettra de l’ordre dans ce foutu monde qui a appris si peu à partager et qui dépense une bonne part de son énergie à courir après l’ARGENT devenu valeur unique? Le monde a beaucoup évolué sur le plan technique, sur les plans de la connaissance et du confort (du moins, une bonne partie en profite) mais il a encore beaucoup à faire pour se transfigurer sur les plans moral et spirituel. Sommes-nous rendus à un carrefour où nous devrons tous coûte que coûte, prendre le bon chemin sinon nous serons aux prises avec une catastrophe sans commune mesure avec toutes les guerres que nous avons connues jusqu’à ce jour?

Les Sans-voix sont multitude. Ils n’ont pas de pétrole à vendre, ni de diamants. Ils n’ont que leur nudité, leur désespérance et leurs yeux hagards à offrir. Qui saura leur redonner espoir, l’eau, un bout de pain, un toit et un lit, un emploi pour qu’ils se sentent devenir importants? Oui, qui? Qu’il se lève ce nouveau Prophète qui mettra de l’ordre dans cette humanité qui a perdu le sens de la justice, de la mesure et du partage?

Nous vivons tous ensemble sur cette planète perdue au milieu de nulle part dans un univers immense. Alors pourquoi ne nous préoccupons-nous pas davantage de construire des plans d’action pour mettre plus d’égalité, de compassion et de compréhension avec nos frères humains qui n’ont pas demandé de naître dans un coin pauvre et sans ressource? Voilà la réalité : nous sommes tous frères et sœurs et ce n’est qu’au nom et au prix de cette RECONNAISSANCE que nous pourrons enfin entrevoir les matins qui chantent d’une paix universelle. Ainsi, les Sans voix ont une voix. Mais ceux qui sont trop riches d’eux-mêmes n’ont plus d’oreilles… ils ne peuvent plus entendre.

Jean Ouimet

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