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Communauté chrétienne
Saint-Albert-Le-Grand de Montréal |
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De la Mauritanie au Québec
Fin février : on sent que les jours rallongent, il y a plus
de lumière; c’est que l’on s’en va Pâques
et vers le printemps. À certains moments, il paraît
encore si loin ce printemps à venir. Mais, à tout le moins,
nos maisons sont chaudes, confortables. Nous n’avons qu’à tourner
le robinet et l’eau coule. Froide et même chaude!
Geste quotidien et machinal. Et pourtant, dans bien des pays du monde c’est
un luxe. Nos vêtements sont douillets; dans nos maisons, on peut
choisir différentes façons confortables de s’asseoir
et de se reposer. On écoute de la musique à notre goût,
selon nos états d’âme, et, lorsque la faim nous tenaille,
on ouvre frigo ou garde-manger et c’est l’embarras du choix…
Après
une deuxième mission en Mauritanie avec l’association
française : Liberté par les Chamelles, voilà entre
autres ce que je ressens en pensant à toutes ces femmes, à ces
enfants et à ces hommes qui vivent dans le désert et dont
le quotidien est tellement rude et exigeant.
Il y a le trop peu des gens du
désert et notre trop à nous…À Paris,
le lendemain de mon retour de Mauritanie, me promenant dans
le quartier St-Germain des Prés, un tel contraste entre ces réalités
extrêmes me questionnait, voire me perturbait. Et me hante toujours
!
À cause des évènements de fin décembre alors que
quatre Français ont été tués au sud du pays, Annick,
la responsable de l’association, avait demandé que notre
sécurité soit assurée. Au moment du départ,
la France demandait encore à ses ressortissants de ne pas aller en Mauritanie.
Mais Annick, après maintes consultations et réflexions, a pris
la décision de partir malgré le désistement de l’un
des dentistes, d’une infirmière et de l’assistante dentaire
qui a été remplacée à pied levé par Céline,
de Montréal, que j’ai connue en recueillant des tricots pour les
enfants mauritaniens et qui a accepté de venir vivre cette expérience
dont elle rêvait. Tout au long de notre mission, nous avons été accompagnés
par deux gendarmes : Ba et Omar, des hommes sympa, parlant français
et qui ont su s’intégrer à la mission en se rendant utiles.
Le soir, sous la tente, il y avait, entre Omar et moi, ce grand fusil
protecteur…
Notre convoi comprenait également nos deux chauffeurs, Cori et
Salec, notre guide interprète Mahmoud, Abdoulai préposé à de
multiples tâches dont le chargement et déchargement des 4x4 contenant
nos bagages et tout le matériel médical, dentaire et agraire et
Dabu, le fils de Goulham, l’homme de confiance de l’association à Atar
qui nous a dit au départ : « Je vous confie mon fils si
précieux pour moi afin que vous sachiez que je ne crains pas pour
votre sécurité dans le désert ». Notre expédition était
donc composée de sept Mauritaniens , de six Français et
de deux Québécoises. Vivre dans la beauté et le dénuement
du désert atteint notre être au plus profond. J’ai couché dehors à deux
reprises et me suis sentie si petite et fragile sous cette voûte étoilée, à l’ombre
de ces dunes de sable, alors que le vent soufflait tantôt délicatement,
tantôt avec ardeur. Paysages grandioses. Silence de l’infini. C’est
un tel émerveillement! Ce que j’ai fait au cours de cette mission?
Comme l’an dernier j’ai été l’intendante du
groupe, c'est-à-dire que je faisais la popote pour toute l’équipe :
Annick, la responsable qui accompagne chaque mission, le médecin, le
dentiste, l’assistante dentaire, les agriculteurs et un spécialiste
des fours solaires. J’ai aussi fait et/ou complété la
monographie de quatre villages du désert. Ces histoires des villages
accompagnées de photos choisies par les gens qui y vivent seront
remises au chef de ces villages lors de la mission de mars.
C’est moi aussi qui faisais la distribution des vêtements
et des tricots apportés du Québec. Une tâche
parfois délicate, car comment évaluer les besoins? Ils
sont tous dans le besoin, mais certains encore plus que d’autres…
Avec trois groupes de femmes dans différents villages, j’ai
enseigné toutes les étapes de la stérilisation. Il
faut environ quatre heures pour passer avec elles à travers le
processus (règles d’hygiène, préparation des
légumes, cuisson et stérilisation).C’est long parce
que pour elles tout est nouveau (elles ont découvert ces légumes
depuis peu) et parce qu’il faut traduire au fur
et à mesure. Bien sûr, l’enseignante prend la
même posture que les élèves : accroupie. (Soit
dit en passant, ces femmes ont, elles aussi, des maux de dos et de jambes…)
La mission s’est arrêtée dans plusieurs villages
que je connaissais déjà et dans deux nouveaux
dont l’un situé aux confins de l’Adrar où les
conditions de vie m’ont semblé encore plus difficiles parce
que le village est triste, rien n’y pousse et les vents de sable
sont omniprésents. On se demande comment on peut vivre dans
de tels endroits si désolés…Pourtant, les femmes courageuses avec
lesquelles j’ai travaillé étaient belles sous leur
voile coloré, chaleureuses et souriantes. À la
fin de la journée, assise derrière le 4x4, je me disais :
moi je repars, mais eux ils restent là, c’est leur vie et
ce soir et demain, ils continueront à lutter pour survivre, à transporter
des bidons d’eau, à supporter ce sable qui s’immisce partout, à faire
de nombreux enfants …
Nous avons aussi passé une journée dans des campements de
nomades où le décor était plus souriant parce qu’il
y avait quelques palmeraies, du tourjat (petit arbuste du désert) et
du sbot (buisson herbeux dont se nourrissent les chameaux). Je pourrais
relater tant de rencontres, d’échanges vécus et de
situations observées et ressenties, en particulier avec les femmes
et les enfants. (Les maris sont souvent absents, partis dans la capitale
ou au Maroc pour tenter de gagner leur vie.) Les habitants du désert
me ramènent à des prises de conscience fondamentales :
accorder moins d’importance à certains aspects de nos
vies, entre autres tout ce qui touche le matériel, relativiser,
aller plus loin dans le partage sous toutes ses formes, mieux apprécier
le bien-être de son lit, l’eau qui coule dans la baignoire… Tant
de confort auquel on se réhabitue si vite. Un peu comme la personne
qui a été malade et qui retrouve la santé et l’apprécie
d’autant plus, je veux garder bien vivant en moi ce que je viens
concrètement de vivre. Alia, Zenabu, Fatimatou, et tant d’autres
visages sans nom que je ne peux reléguer au fond
de ma mémoire. Ces femmes et ces enfants vont continuer à m’accompagner
et à me donner la main pour avancer sur la route de façon,
je l’espère, plus détachée et plus sereine.
Malgré les efforts et la fatigue, je m’estime privilégiée
d’avoir vécu ces missions, d’avoir croisé des
gens qui, sans le savoir, m’ont beaucoup donné et m’humanisent davantage. Le
regard porté sur ma réalité d’occidentale choyée
change forcément. Et m’incite au dépouillement.
Je ne sais pas si je retournerai dans le désert, mais ici aussi,
près de moi, il y a des « Mauritanies » qui m’interpellent,
des gens qui vivent parfois dans des déserts affectifs ou
matériels peut-être moins visibles, mais tout aussi inacceptables. C’est
donc d’une autre façon que se poursuit la mission.
Claire
Blanchard de Ravinel
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