CCSA






Communauté chrétienne St-Albert le Grand




Témoignage de Denis Tesson

 

Guy Lapointe avait accompagné plusieurs mourants parmi nos proches. Comme nul autre, il nous a soutenus dans nos deuils, nos ruptures, nos angoisses. Il les a soufferts avec nous puis son tour est venu, il y a trois ans, de dépendre de notre présence et de notre affection.    
       
Nous, ce sont ces quelques amis et amies proches, qui l'avons visité régulièrement pendant son déclin. Le doux Réal, son frère de cœur qui a recueilli son dernier souffle; la très énergique Lucie, la compagne d'aventures qui nous organisait tous; Marlene la volubile et son taiseux Jean-Robert, pionniers des communautés de base, qui priaient avec lui; Andrée la tactile, qui soignait son visage et ses mains et qui le promenait, les yeux fermés, dans les visites virtuelles de paysages familiers; Christine, toute intérieure, avec qui il avait de longs échanges, cœur à cœur, sans qu'aucun mot soit échangé; Yves, le sensible, son frère et son confident depuis plus de 60 ans. Chacun de nous partageait avec Guy une partie de son jardin secret et je ne réussirai pas, ce soir, à parler en notre nom à tous.    
       
Depuis trois ans, Guy ne vivait plus parmi vous, mais il n'a cessé de réclamer son retour. Je veux revenir "avec les frères" disait-il et, quand il évoquait ses funérailles, malgré sa nostalgie immense de l'Île, il voulait son dernier repos parmi vous à St-Hyacinthe, dans son aube blanche    
- de taille 80, précisait-il.       
       
Guy était un homme d'habitude, de fidélité et de devoir. Fidélité à sa famille de naissance et à vous, sa famille d'élection. Il pouvait paraître délinquant, voire rebelle, mais il détestait la confrontation et parfois même la décision. Il m'exaspérait avec ses "Il faut qu'on s'en reparle" 
: il ne s'agissait pas d'avoir raison mais de poursuivre la conversation.       
       
Guy a été comme les insulaires du Fleuve. Les sabots dans la glaise, mais les yeux dans les étoiles, insulaire fasciné par les aventuriers sur l'eau, par le vol des oies, par l'odeur de la marée, imaginant un jardin plus vaste, un ciel d'espérance, un océan infini, une postérité innombrable.     
       
Et chacune des amitiés qu'il a cultivées, comme chacun de ses voyages ou chaque nouvelle émotion artistique nourrissaient son envie du grand large, de vastes horizons, de nouveau départ. Nous étions son évasion et il espérait nous entraîner tous, ses amis, ses frères, sa Communauté, l'Église, à l'audace de cette liberté.
       
C'est ainsi qu'il voyait son rôle de pasteur ou d'enseignant, un éveilleur marchant, non pas en avant, mais au milieu de ceux qu'il aime, attentif aux embuches, aux souffrances, aux essoufflés, suscitant ces bonnes questions qui remettent en mouvement. L'aventure et le risque, il fallait les vivre ensemble, au risque de la lenteur. 
       
Il a lucidement choisi de vivre pleinement sa vie et de s'éteindre lentement. Il ne s'exprimait plus mais ne cessait d'écouter et, pour ma part, je me surprends à continuer de lui parler. 
       
Avec vous, ses frères, je rends grâce pour le don de sa présence.          

Denis Tesson