La confiance. Voilà un beau thème spirituel quand il s’agit de traiter de notre rapport avec Dieu. C’est plein d’humilité, d’abandon, d’espérance. À l’expérience, en est-il vraiment ainsi? Comptons-nous vraiment sur Dieu? Ce serait une interrogation à porter, mais pour une autre fois, sans doute au temps de l’Avent. Aujourd’hui, la liturgie semble renverser la table en nous invitant à être « dignes de confiance ».
Être « digne de confiance » suppose une certaine attente ou encore une évaluation basée sur des actions passées. Cela se mérite. C’est dans la connaissance de l’autre, dans sa fréquentation que nous arrivons à juger si cette personne est « digne de confiance » ou non. Il nous arrivera parfois de se tromper, d’être abusé par des gens sans scrupule, ceux qui sévissaient à l’époque d’Amos et qui sont toujours à l’œuvre aujourd’hui. Peut-être avez-vous vu l’émission « Enquête » jeudi dernier, qui présentait des « mangeurs d’argent » ayant recours aux arnaques amoureuses. De façon subtile, avec habileté et raffinement des méthodes, ces individus ont « gagné » la confiance de personnes vulnérables, allant jusqu’à causer leur ruine, les « siphonnant jusqu’au dernier dollar ». « Non, jamais je n’oublierai aucun de leurs méfaits », déclare Dieu au terme de cette incursion de Amos dans le monde des malfaisants. La Parole de Dieu n’a quand même pas pour but aujourd’hui de renforcer le sentiment de méfiance généralisé. Si des fraudeurs peuvent mettre au point un système aussi élaboré pour tromper les gens et les exploiter, nous, les honnêtes gens, fils et filles de lumière, ne pourrions-nous pas aussi déployer un peu de créativité et d’ingéniosité pour le service du Règne de Dieu ?
La malfaisance déploie un véritable génie pour arriver à ses fins. Il faut sympathiser avec les victimes, mais nous ne pouvons laisser le champ libre à « l’argent malhonnête ». L’Évangile vient nous rappeler que Dieu se fie sur nous pour faire progresser son bien. Comment répondons-nous à son investissement de confiance ?
Dieu nous fait confiance, comme des parents font confiance à leurs enfants. C’est au sein même de cette relation qu’ils grandissent et atteignent à la maturité. La confiance en l’autre est un appel au dépassement, à déployer des forces encore insoupçonnées. Dieu ne veut pas nous écraser de sa confiance, mais nous donner accès à notre plein potentiel. C’est une générosité que nous n’avons pas facilement en société où la confiance se gagne, où il faut faire ses preuves. Et disons-le franchement, de plus en plus de gens pensent qu’aujourd’hui, on ne peut plus se fier à personne. La confiance aurait été trop souvent trahie.
Au plan social, les institutions ne jouissent plus d’une grande crédibilité. Une lassitude s’est installée. Peut-être un certain cynisme. Les relations interpersonnelles en sont aussi marquées. La méfiance a remplacé la confiance spontanée. Les attentes ont été déçues. Ici et là, les liens sont rompus et le tissu social en est affecté.
Comment, dans ce contexte, créer une communion qui suppose que les membres partagent authentiquement un même lien ? L’Évangile nous prescrit de commencer par les petites choses : « qui est digne de confiance dans la moindre chose est digne de confiance aussi dans une grande ». C’est déjà un bon lieu de vérification. Pour Jésus, cela se trouve dans l’attachement d’une personne envers ce qui lui est confié. Pour peu que quelque chose nous tienne à cœur, nous aurons le souci de sa préservation ou de son bien-être.
Nous n’irons pas imiter les procédés des bandes criminelles dont parlait Amos mais elles possèdent certains traits dont nous pourrions nous inspirer. D’abord, vous l’aurez noté, le « nous » est très prévalent chez eux : « nous allons diminuer les mesures, augmenter les prix et fausser les balances » (…) « Nous pourrons acheter le faible », « Nous vendrons jusqu’aux déchets du froment ». Ils fonctionnent en groupes dans lesquels s’élaborent les stratégies pour détrousser les plus pauvres. Il semble que, depuis toujours, le crime soit bien organisé! L’expérience des uns et des autres est mise à contribution et les plans sont exécutés au moment favorable : « quand donc la fête de la nouvelle lune sera-t-elle passée » (…) « quand donc le sabbat sera-t-il fini » ? Les résolutions sont prises et on sent une certaine hâte à passer à l’action. Sans faire de parallèle avec les milieux d’affaires, eux aussi ont leur « plan stratégique » … En Église, trouve-t-on quelque chose de cette fébrilité ? L’objectif paraît toujours assez distant, sans cible immédiate. L’invention et l’innovation n’y sont guère valorisées. Le système « d » pour débrouillardise est rarement déclenché. À quoi cela tient-il ?
S’il y a une particularité chez les malfaiteurs de tout acabit, qu’ils soient fraudeurs sur internet ou membres de gangs de rues, c’est leur concentration sans partage sur l’Argent, pour eux, sans contredit, le bien suprême. Leur choix est net et définitif. Jésus aurait-il touché du doigt une des causes de notre manque de résolution, un désir plus ou moins avoué de servir deux maîtres ? Les cœurs partagés perdent en efficacité, en résolution. Sommes-nous assez voués à faire fructifier les biens de Dieu ? Saurons-nous nous montrer dignes de confiance dans la moindre chose et aussi dans une grande ? Et si notre action de grâce était un vote de confiance en faveur du projet de Dieu sur le monde ?