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Communauté chrétienne St-Albert le Grand





Homélie pour le 22e Dimanche du Temps Ordinaire

Le don d’une oreille qui écoute

31 août 2025

Raymond Latour

Lc 14, 1.7-14     

(À la mémoire du frère Hugues Dumais, décédé le 22 août 2025)    

  
    À l’entrée des restaurants de type familiaux, vous serez souvent accueillis par ce genre d’écriteau : « S’il vous plaît laissez-nous le plaisir de vous assigner une table ». Dans des restaurants plus chics, il faudra une réservation et parfois des privilégiés auront droit à « leur » table. S’il s’agit d’un buffet, ce sera sur la base du « premier arrivé, premier servi ». Les « bons billets » pour les spectacles ou les événements sportifs iront à qui est en mesure de se les procurer. Mais il peut arriver que les « places réservées » ne soient pas clairement indiquées… Justement, l’Évangile d’aujourd’hui nous présente un cas où un convive risque de perdre la face en choisissant une place qui ne lui revenait pas… léger embarras. La prochaine fois, « laissez-nous le plaisir de vous assigner une place ! »…
      Qui ne voudrait pas avoir la meilleure place ? La saison des mariages bat son plein présentement. Dans les familles, c’est souvent un casse-tête de déterminer la liste des invités et leur répartition aux tables. On voudrait presque recourir à un service du protocole comme pour les repas à caractère officiel ! Les gens ont leur susceptibilité, et aussi un « égo » qu’il vaut mieux éviter de contrarier. Les repas n’ont quand même pas pour fonction de désigner le rang social des convives ! 
      Jésus invite les communautés chrétiennes à atténuer ou même écarter ce type de problème en traitant en priorité les personnes qui n’auraient aucune préséance sociale, dont on ne rechercherait pas spontanément la compagnie.  
      Nous le savons, même à l’intérieur d’une société diversifiée, les gens ont tendance à restreindre leurs relations à des personnes qui partagent certaines caractéristiques au point de vue de l’éducation, de la culture ou du niveau économique. Les perspectives étant semblables, cela entraînerait aussi une vision du monde assez apparentée. Des études démontrent que les médias sociaux renforcent encore cette propension, avec cette fameuse « chambre d’échos » où une même idéologie se répercute dans un cercle donné.      
La mixité sociale apparaît comme un idéal promu dans le monde de l’éducation et de l’urbanisme, mais sa réalisation se heurte à de nombreux obstacles.     
      Nos communautés chrétiennes qui rassemblent des gens de divers horizons offrent un modèle de « cohésion » que nous désignons par le mot de « communion ». Cette communion va au-delà du désir spontané des gens de se rassembler entre eux. Elle propose un dépassement de « l’entre-nous » et la création d’une communauté ouverte, vraiment inclusive. Jésus invite à ouvrir cet espace du « nous » précisément à des gens qui, par expérience, s’en sentiraient exclus. Il élargit l’identité de groupe au point de la faire éclater pour mieux manifester le lien profond entre les membres, celui de notre commune humanité et celui de la foi.      
      Former communauté représentera toujours un défi. Les différences, loin d’être vues comme des obstacles, finiront par être perçues comme un enrichissement pour le groupe. La valorisation des contributions des uns et des autres affermira le sentiment d’appartenance. En affirmant les liens de communion, le caractère prophétique de la communauté ne manquera pas de se révéler. La forme pyramidale disparaîtra au profit du cercle, les rapports hiérarchiques n’auront plus de prévalence, le sens du service se substituera aux ambitions, la valeur et la dignité des personnes ne fera plus l’objet d’un « classement », d’une « échelle » ou de quelque autre mesure de positionnement social : un « nous » égalitaire nous est proposé, non comme une utopie mais la condition même pour la création d’une communauté chrétienne authentique.   
      Ainsi, le petit avertissement de Jésus au chef des pharisiens ne provient pas d’un livre de bienséance ou une leçon de conformisme à l’étiquette sociale. Nous sommes dans l’Évangile. Si quelqu’un était autorisé à prendre la première place, c’était bien Jésus. Non seulement y a-t-il renoncé en ne se prévalant jamais d’aucun privilège que lui aurait conféré sa dignité de Fils de Dieu, mais tout au contraire, il s’est mis au dernier rang, au point d’être assimilé aux pauvres et aux pécheurs, mis en croix, traité en paria de la société. Le dernier était le premier ! Il n’a pas recherché les hauteurs, les honneurs, les hommages. Sa gloire a consisté dans sa proximité avec tous. Il ne s’est pas coupé du monde, bien au contraire. Il a été attentif à toutes les réalités humaines qu’il rencontrait.
      Comme lui, nous ne devons revendiquer aucune prérogative, plus encore, positivement, comme lui, plutôt que d’être à la place d’honneur, être au milieu des siens, en y incluant même les personnes marginalisées. C’est ainsi que nous aurons nous aussi cette oreille du sage, l’oreille d’un cœur qui écoute : un don pour le monde. Dans un siècle aux égos démesurés, l’empathie, la compassion prennent une valeur nouvelle.   
      L’humilité qui nous est demandée aujourd’hui ne consiste pas à nier nos capacités ou les talents que nous possédons. Nous avons cependant à les exercer dans un esprit de service, sans chercher à nous faire valoir. C’est de Dieu que nous recevons notre dignité, c’est la réponse à son appel qui constitue notre juste place. Et n’en doutons pas, au terme de notre vie, nous serons accueillis par Dieu et ses anges qui nous diront : « Laissez-nous le plaisir de vous assigner une place ».