« Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite », dit Jésus. J’ai beau avoir fait des études en théologie et avoir une longue expérience de prédicateur, je dois avouer qu’il n’a pas été facile d’écrire une homélie sur un thème aussi anodin qu’une porte, qu’elle soit étroite ou large ! Je me suis demandé mais qu’est-ce que je pourrais bien dire sur cette porte étroite par laquelle Jésus nous dit de nous efforcer d’entrer ! Qu’a-t-elle donc de si important cette porte pour que Jésus en fasse une page d’Évangile ? Pour éviter tout anachronisme, il faut faire un saut dans le temps et revenir à Jérusalem, qui, à l'époque de Jésus, était une ville fortifiée avec des remparts très imposants.
Aujourd’hui, en route vers Jérusalem quelqu’un demande à Jésus : « N’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? » La question de savoir s’il y aura ou non beaucoup de sauvés n’intéresse pas vraiment Jésus mais, malgré tout, il ne se défile pas devant ce qui est à ses yeux une difficulté plus mathématique que théologique. Jésus répond à cette question par une histoire de porte : « Efforcez-vous d’entrer vous-mêmes par la porte étroite ». Et là, tout s’enchaîne.
Pour bien comprendre et bien interpréter cette histoire, il faut savoir que Jésus fait ici référence à cette petite porte qui se trouvait, à côté ou à l’intérieur même de la grande porte principale des remparts. (Jérusalem comptait six portes dans ses remparts, donc six portes étroites) À la tombée de la nuit, pour des raisons de sécurité, on fermait les grandes portes, mais il y avait toujours une petite porte annexe pour les retardataires. Cette porte étroite avait les dimensions d’un homme ; on ne pouvait donc pas passer à plusieurs par cette porte. Pour passer de l’extérieur vers l’intérieur par cette porte étroite, il fallait d’abord décliner son identité et ensuite quelqu’un l’ouvrait. Cette porte étroite n’est pas prévue non plus pour faire passer les marchandises ; la nuit, on ne peut donc pas entrer par la porte étroite encombré de bagages ou de provisions ; on ne peut entrer que dans le dénuement, dans le dépouillement. Et, à partir d’ici, avec son histoire de porte, Jésus commence à faire de la théologie pratique en parlant à son monde à partir de ce qu’ils connaissent, de leur propre expérience, ici, celle de devoir passer dépouillés ou sans bagage par l’une ou l’autre des six portes étroites des remparts de Jérusalem s’ils voulaient être parmi les « sauvés » des dangers de la nuit pour quiconque demeurait à l’extérieur des remparts sans quoi il leur fallait attendre le lever du soleil et la réouverture des grandes portes.
Au fur et à mesure que le temps passe et que nous avançons dans l’évangile vers la passion, Jésus parle de plus en plus de conversion et de dépouillement, le dépouillement matériel pour tous les disciples qui ont choisi de vivre l’Évangile dans toute sa radicalité (« va, vends ce que tu possèdes, puis viens, et suis-moi » Mt 19, 21), mais aussi et surtout le dépouillement spirituel, se désencombrer de tout ce qui alourdit nos pas, tout ce qui nous empêche de voir Dieu face à face et surtout tout ce qui nous empêche de voir Jésus présent dans les autres (« toutes les fois que vous avez fait ces choses à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous les avez faites » Mt 25, 40).
Traversant villes et villages, Jésus invite tous ceux et celles qui écoutent sa prédication à se convertir MAINTENANT. Il les invite et il nous invite à rectifier notre vie, pas demain, pas après-demain mais MAINTENANT. Quand Jésus dit que la porte étroite sera un jour fermée, c’est une autre manière de dire qu’il y a urgence de la conversion. C’est la responsabilité de chacun et chacune de se décider à franchir la porte étroite mais en ayant toujours cette conviction que derrière cette porte étroite se trouve ce que nous attendons au plus profond de nous, comme le chantait Céline Dion dans sa chanson intitulée : Les derniers seront les premiers. Je la cite : « Dans l'autre réalité, Nous serons princes d'éternité. »Mais gare aux personnes qui s’imaginent que le Royaume de Dieu est une sorte de récompense réservée uniquement au plus vertueux À ceux-là Jésus dit que ce n’est pas parce qu’ils ont mangé et bu en sa présence ou encore qu’ils ont écouté ses enseignements qu’ils entreront nécessairement dans le Royaume de Dieu. Il faut plus que l’écouter, plus qu’une rencontre « en passant ». S’il y a encore dans leur cœur un quelconque brin d’injustice, un quelconque espace à convertir, ils resteront dehors. Ils seront ignorés, oubliés jusqu’à ce qu’ils vivent une véritable conversion. « Il vous répondra : Je ne sais pas d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi. » Cette phrase, à première vue, sonne comme une sentence irrévocable. Je constate cependant que rien ne dit que cette porte étroite ne peut s’ouvrir plus d’une fois avant d’être définitivement fermée. Autrement dit, rien n’est perdu à jamais parce que la miséricorde de Dieu est infinie et que c’est en franchissant la porte étroite que nous trouverons la pièce manquante de notre cœur, celle que nous recherchons sans cesse dans notre conversion, dans notre cheminement pour nous rapprocher de plus en plus du Seigneur et lui ouvrir la porte étroite de notre cœur. Le Seigneur nous tend toujours la main et saisir la main tendue de Dieu, c’est plus que d’espérer un « coup de pouce » de sa part. C’est unir notre vie et notre destinée à sa personne et à tous les ‘’sauvés’’, tous ceux et celles qui, depuis la mort et la résurrection de Jésus, ont franchi la porte étroite. Je termine par cette phrase de Charles Péguy : « On ne se sauve pas seul. On ne rentre pas seul à la maison du Père. On se donne la main. Le pécheur donne la main au saint et le saint donne la main à Jésus. » Et c’est ainsi qu’on entre dans le Royaume de Dieu.