Ces derniers jours, le printemps semble s’être bien installé. Le vert tendre des arbres nous caresse les yeux et les pissenlits nous font des sourires – quand ils sont sur la pelouse des voisins ! Ah ! si l’amour dans nos communautés chrétiennes était aussi répandu, aussi visible ! Les pissenlits ont une tendance beaucoup plus nette à la prolifération, espérons du moins que notre foi partage leur caractère indéracinable.
Eh oui, il est question d’amour, il est encore question d’amour dans l’Évangile de ce jour. Cela demeure la plus forte proposition de Jésus, son « commandement nouveau », celui auquel il tenait et qui nous distinguerait comme ses disciples. L’amour couplé avec la nouveauté ! Plus exigeant encore : l’amour mesuré à celui de Jésus. « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Voilà que l’amour hors-norme de Jésus nous est proposé comme un modèle à suivre.
La formulation de Jésus ne nous offre pas beaucoup d’esquive. Nous ne sommes pas dans le registre de l’inspiration ou de l’aspiration par rapport à une sorte d’horizon à atteindre. Jésus parle d’un amour effectif, repérable même par des gens qui n’appartiendraient pas à la communauté croyante : « À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres ». Toute dissension dans la communauté apparaîtrait comme de la mauvaise herbe, un contre-témoignage et ce risque était certainement bien présent dans la pensée de Jésus. Une injonction à éviter les querelles et les divisions aurait déjà constitué un sérieux défi. Arracher les pissenlits, passe encore, mais créer un jardin de roses qui sollicite le regard du voisinage, c’est autre chose.
« Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres ». Comment entendre ce « comme » ? Indique-t-il une demande de réciprocité, nous fait-il un devoir de reconnaissance qui nous inciterait à aimer en retour ? Mais, tout en portant ce sens, il semble être encore plus radical, une demande d’aimer à la manière de Jésus. Un « commandement nouveau », une exhortation incontournable qui nous oblige à revoir de quel amour Jésus nous a aimés, comment cet amour nous a été manifesté, et jusqu’à quel extrême il est allé. Amour oblatif, amour de dépossession, amour inconditionnel, amour total jusqu’au don de sa vie… non, décidément, la barre est trop haute, et même un petit rabaissement nous paraîtrait encore hors de portée. Comment, au sein de notre communauté chrétienne faire pendant à un amour aussi vertigineux ?
Nous n’en sommes peut-être pas si éloignés. Notre rassemblement en lui-même est un témoignage important qui dit notre capacité à nous réunir au-delà de ce qui nous divise. Quel groupe dans notre société se rassemble avec une telle fréquence et de façon aussi gratuite ? Ce n’est pas banal, pour peu que le regard ne soit pas indifférent à la beauté d’une roseraie et ne s’attache pas trop aux pissenlits… Nous ne finirons jamais ensemble de faire l’inventaire de l’amour de Jésus pour nous et toute l’humanité, puisqu’il se renouvelle constamment. C’est cet amour qui marquera la création de la « terre nouvelle » qu’annonce l’Apocalypse.
La grande œuvre de Jésus aura été de nous introduire dans l’amour du Père. Tout procède de cet amour. Avant de nous laisser son commandement nouveau, Jésus avait aussi confié à ses disciples un autre « comme » provenant de l’exigence amoureuse entre lui et son Père : « Comme mon Père m’a aimé, moi aussi, je vous ai aimés ». Jésus nous a aimé de l’amour du Père. Et nous nous aimons les uns les autres de l’amour que Jésus nous a montré.
Dans notre communauté chrétienne, nous sommes au service de cette circularité de l’amour qui définit non seulement notre communion mais aussi notre mission. Le don, la réception et la transmission ne font plus qu’un. L’amour vécu au sein de la communauté devient un lieu de vérification de notre lien de communion avec Jésus et avec son Père. C’est l’Esprit qui nous donne d’y participer.
La semaine prochaine, lors de l’assemblée générale, nous aurons l’occasion de réfléchir sur notre modèle de communauté et sa proximité avec l’Évangile du Christ : une communauté où l’amour est bien présent, enraciné et toujours neuf… sans trop de pissenlits et qui dure plus longtemps que ce que durent les roses !