Quand j’étais enfant, on était vers 1945, dans les écoles on avait plaisir à enseigner cet évangile. L’insistance était mise sur le fils prodigue, mot qui n’était pas facile à comprendre et qu’on mélangeait facilement avec prodige. C’était comme si on cherchait à nous culpabiliser. Heureusement depuis, notre interprétation de cette histoire a bien évolué : elle est tout autre. L’évangile de ce midi commence par nous dire que « les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter. » Et la phrase suivante ajoute : « Les pharisiens et les scribes récriminaient contre Jésus : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs et il mange avec eux!" » Pourquoi cette attitude des pharisiens et des scribes? Parce qu’ils ont une très haute idée de Dieu. Ils croient que pour être dignes de Lui, il leur faut suivre la loi de Moïse dans les moindres détails de leur vie quotidienne. Il y a incompatibilité totale entre le Dieu Très Haut et les pécheurs. La conclusion que les pharisiens en tirent est la suivante : par sa manière d’agir avec les pécheurs et les publicains, Jésus ne peut pas se réclamer de Dieu : il agit en contradiction avec les exigences divines.
L’introduction de cet évangile nous indique que cette histoire ne porte pas d’abord sur les deux fils, elle est plutôt une révélation à propos de Dieu. Jésus nous parle de son Père et de la relation que ce Père veut vivre avec toute l’humanité. Et cette humanité, elle ressemble autant au plus jeune fils qui dilapide les biens de son père qu’au fils plus âgé qui se referme sur lui-même pensant ainsi plaire à son père. Les deux fils sont dans la parabole pour nous faire saisir qu’ils sont des calculateurs. Le second fils, celui qui a quitté la maison, y revient en calculant que dans les circonstances le retour est plus payant que la misère. Ce retour lui plait-il, on ne le sait pas. Le fils aîné est resté à la maison parce qu’il y trouve son bien; il est l’héritier. S’épanouit-il là où il est? Là encore, on en n'est pas très sûr puisqu’il ne peut jamais fêter. Il semble là plus par devoir que par choix.
Le père lui est sans calcul. Tout ce qu’il veut, c’est que les fils entrent dans la maison pour festoyer comme famille retrouvée. C’est intéressant de constater que le père va à la rencontre de son second fils alors que celui-ci est encore loin de la maison. Le père voit son fils venir et, fou de joie, il court et se jette à son cou. Aucune rancœur de la part du père, aucune pénitence n’est imposé au fils. Le père veut simplement fêter ce retour. Quant au bon fils, l’aîné, c’est lui qui cause problème au père. C ‘est le bon fils qui ne veut pas participer à la fête du retour de son frère qui a lieu dans la maison. En effet, l’échange entre le père et le fils aîné, l’héritier, se fait à l’extérieur. Et sur quoi porte l’échange ? Sur le fait que le fils aîné refuse de reconnaître son frère. Il le nomme : « ton fils que voilà ». Le fils aîné est dans une sorte de cul-de-sac : s’il ne reconnait pas ce jeune homme pécheur et n’accepte pas de fêter avec lui comme un frère, il se met dehors de la maison de son père et de toute la famille. Le bon frère doit cheminer.
Plus on avance dans l’évangile d’aujourd’hui, plus on se rend compte que les deux fils sont importants pour nous faire saisir la vision de Jésus. Dans le cas du « fils perdu », si on peut parler ainsi, on constate l’amour extraordinaire de Dieu pour ce type de personnes. À plusieurs reprises dans l’évangile de Luc, il est dit que Jésus est venu pour les perdus. Dans le cas du fils aîné, le bon fils, on voit qu’il s’agit d’un rigoriste, « un dur de la perfection », qui se scandalise dès que Dieu se montre bon et accueillant aux gens différents. Le Père invite le fils aîné à dépasser sa mentalité étroite pour aimer Dieu et son prochain.
Si, dans cet évangile, les deux fils sont importants, le père l’est plus encore. La tendresse du Père dépasse les bornes. J’ai lu quelque part, à propos de cette histoire, que le père, qui d’après le contexte, est un notable oriental dépasse les bornes. Il est hors norme. Parce qu’il est amoureux de ses enfants, ce père n’a que faire des convenances. Il les veut heureux avec lui. C’est ce souhait que je fais à chacune et chacun.