Au cours de cette fin de semaine de l’action de grâce, nous disons notre reconnaissance pour l’abondance des récoltes et sans doute aussi, merci pour ce congé au cœur d’une période assez trépidante. Nos parents et amis ne célèbrent pas forcément l’action de grâce en se tournant vers Dieu. Mais déjà, dire merci à la terre, merci à la vie, c’est d’une certaine façon dire merci à Dieu qui a « répandu ses largesses ».
Il y a plusieurs moments dans l’année où nous manifestons notre reconnaissance : par exemple, la fête des Mères, la fête des Pères, mais celle de l’Action de grâces déborde le cadre familial pour nous rappeler combien nous sommes choyés par la vie, par la nature, par la terre qui nous nourrit. La saison automnale est bien propice à cette célébration de l’abondance et de la générosité, et comment mieux le manifester qu’autour d’une bonne table ? Ensemble, sans peut-être le dire explicitement, nous nous réjouissons pour les grandes forêts toutes colorées du mois d'octobre, pour les champs qui produisent les légumes, pour les arbres fruitiers, pour toute la profusion de nourriture que nous recevons au quotidien. Et tout cela dans le bonheur des liens familiaux ou d’amitié.
C’est une fête extrêmement positive qui nous ferait presque oublier les inquiétudes que vivent beaucoup de personnes, particulièrement celles en situation de précarité alimentaire, celles qui sont oppressées par les inquiétudes de fin de mois qui empoisonnent le mois entier, toutes ces personnes aussi qui n’ont pas vraiment le goût de dire « merci la vie ! » parce qu’elles vivent un deuil ou une séparation difficile, ou dont l’état de santé est cause d’angoisse. Et dans bien des pays, des gens connaissent une pauvreté abjecte, en raison d’une richesse mal répartie ou des guerres qui y sévissent.
Des yeux ouverts sur l’amour vont de pair avec des mains ouvertes au partage avec ceux et celles qui ont le plus besoin d’aide. Comment laisser les autres dans l’indigence quand nous éprouvons fortement les bienfaits dont nous bénéficions ?
Action de grâces et compassion ne devraient jamais s’exclure. Que produirait une absence totale de reconnaissance sinon une triste fermeture sur soi, une incapacité à accueillir la vie comme un don ? Ce serait alors la tyrannie du mérite, le refus de la gratuité, le chacun pour soi triomphant.
Pourquoi insiste-t-on pour que l’enfant apprenne à dire merci, sinon pour qu’il découvre bien vite qu’il n’est pas seul au monde, que tout ne lui est pas dû, bref, que l’amour existe ! Et que les mercis font exister l’autre !
Dire merci, c’est la première ouverture à l’autre, la première reconnaissance que notre bonheur ne dépend pas que de nous. Ces petits mercis des tout-petits sont des exercices essentiels qui permettent la dilation du cœur. Autrement, c’est la dureté de cœur assurée. Les mercis humanisent. Leur absence déshumanise. C’est un long apprentissage que celui qui nous fait passer des mercis un peu contraints de notre enfance à un merci sincère qui reconnaît que l’autre est pour quelque chose dans sa part de bonheur. Dire merci, c’est une justice que nous pouvons rendre pour signaler que tel geste, telle parole, ne sont pas passé inaperçus. À celui ou celle qui reçoit cette expression de reconnaissance de dire « il n’y pas de quoi », « de rien ». Mais pour qui reçoit en vérité, le don doit être nommé par la gratitude. Nous nous en porterons tous bien mieux si nous apprenons à dire « grâce à vous ! ».
Ces mercis nous font prendre peu à peu conscience à quel point nous sommes liés les uns les autres. Le tissu social est composé de mercis, expressions d’une solidarité reconnue, d’une aide et d’un soutien qui vont du simple dépannage à un secours absolument nécessaire. Ils peuvent entraîner une belle réciprocité. C’est le cas de nos rapports sociaux jusqu’à notre relation avec notre maison commune. Peut-être la planète entière entend-elle notre merci aujourd’hui ? Peut-être attend-elle notre secours pour nous dire merci, à son tour ?
Dans l’évangile, Jésus nous invite à rendre grâce en portant notre regard sur la nature et les exemples qu’elle nous donne comme autant de motifs de confiance en un Dieu qui prend soin de tous ses enfants. Il suffit de savoir regarder. « Voyez les lis des champs! Regardez les oiseaux! » Non seulement la nature est-elle source de bienfaits, elle nous donne aussi des leçons de sagesse, elle a une qualité prophétique puisqu’elle porte les messages de Dieu, qu’elle nous enseigne l’abandon, la confiance, surtout dans les moments où la providence des humains nous ferait défaut.
« Alors, qu’est-ce qu’on dit? ». Un gros merci !