CCSA






Communauté chrétienne St-Albert le Grand





«Qui est le plus grand ? »

25e Dimanche du Temps Ordinaire

Raymond Latour   

Sg 2, 12. 17-20
Jc 3, 16 – 4, 3
Mc 9, 30-37

         Au cours du prochain mois, nous entendrons beaucoup parler du synode sur le processus synodal qui consiste à se mettre à l’écoute de l’Esprit pour découvrir les voies dans lesquelles l’Église devrait s’engager aujourd’hui pour être fidèle à l’Évangile et en témoigner. Arrivera-t-on jamais à créer une Église-communion ? Pour qu’advienne le cercle, il faudra procéder à la déconstruction du triangle ou de la pyramide. Ou cesser de prétendre que le cercle et le triangle peuvent coexister. L’Évangile que nous venons d’entendre nous offre un contre-exemple de ce que doit être une Église de type synodal. Jésus s’est attaché à changer la logique, nous disons maintenant le « logiciel » de ses disciples, et aussi le nôtre.  
Ces jours-là, c’était après la deuxième annonce de Jésus quant à son sort final, les disciples marchaient en conservant une certaine distance avec lui. Sans doute pour éviter de l’interroger sur ce qui les inquiétaient. Entre eux, ils parlaient d’autre chose. Ils étaient dans la fébrilité de ce qu’ils pressentaient être la gloire prochaine de Jésus à laquelle ils auraient part. Ils se sont alors adonnés à une discussion bien mondaine, à savoir « qui est le plus grand? ».     
       De retour à la maison, questionnés par Jésus sur la conversation qui les animait, les disciples n’ont pas répondu avec candeur. Ils ont gardé le silence. Leur silence ressemblait à celui de l’enfant pris la main dans le pot de biscuits ! Leur désir aussi nous paraît bien puéril…     
Qui oserait avouer que ce genre de pensée peut parfois l’habiter ? La plupart des gens gardent une grande discrétion là-dessus même si leur regard ambitieux dévoile ce qui voudrait rester caché, qu’ils ont vraiment besoin d’un plus petit que soi pour valider leur existence.     

      
Ce n’est pas seulement sur le plan social que les disciples ont été gênés de révéler des pensées inavouables. Ils savaient fort bien que leurs discussions allaient à l’encontre des enseignements de Jésus. Ils se sont quand même autorisés à se lancer à corps perdu dans ce débat. Discussion au cours de laquelle chacun des Douze pouvait avoir des prétentions à être « le plus grand ». Voilà ce qui les occupait en chemin… sans trop prendre garde que Jésus, un peu à distance, pouvait surprendre leurs propos.  
Il suffisait que Jésus s’écarte du groupe pour que le naturel revienne au galop ! N’était-ce pas une conversation bien innocente qui ne prêtait pas à conséquence ? Pas aux yeux de Jésus qui, de retour à la maison, a décidé de « recadrer » le groupe des disciples. Dans l’Évangile de Marc, ils ont rarement le beau rôle, prisonniers d’une vision étroite, incapables d’élever leur compréhension. « Bouchés », dirions-nous.  Jésus a bien vu leur point faible : ils se croient tous forts, chacun se pense « grand », se veut grand, et voudrait aussi être le plus grand. Rejoignons-les au moment où Jésus les aide à faire retour sur leurs chemins. 
Les voilà rassemblés autour de Jésus, ces chers disciples, nos frères. Ils font maintenant cercle autour de lui. La forme ronde reprend ses droits et succède à la forme pyramidale, hiérarchique, que supposait leur conversation sur la route. Dans ce cercle, personne n’a de prépondérance, tous sont égaux. Il n’y a plus ni premier, ni dernier, même si dans le secret de leurs cœurs les disciples sont toujours dévorés par l’esprit de compétition et/ou de domination. Jésus fera tout en son possible pour expulser ce genre de démon, l’un des plus résistants qui soit. Voyons-le à l’œuvre.     
       Jésus n’attendait sûrement pas une réponse à sa question, plus en forme de point de suspension que d’interrogation. Le silence des disciples est éloquent. Ils conviennent que leur discussion sur « qui est le plus grand » participe d’un tout autre esprit que celui que Jésus leur a enseigné. Ils sont pris en défaut. La leçon doit avoir porté, mais leur Maître estime important de leur rappeler son mot d’ordre, celui du service. Les oreilles des disciples ont dû grincer en entendant à répétition les mots « dernier » et « serviteur de tous ». On les imagine écoutant ce sermon les yeux baissés et les oreilles dans le crin, en attendant que ça passe.   
       Jésus aurait pu s'en tenir là. Le message a sûrement été reçu 12 sur 12, mais sait-on jamais ? En certain cas, vaut mieux insister. Il abandonne le discours pour une petite parabole en acte : il installe un enfant au milieu de ses disciples. Arrêtons-nous un moment au visuel de la scène. L’enfant qui, normalement, est en dehors du cercle social occupe maintenant la place centrale, détenue jusque-là par Jésus seul. Que Jésus soit au centre du groupe des disciples, cela va de soi. Mais la place centrale est maintenant partagée avec un enfant. Ils sont deux. À ne jamais dissocier. Voilà que Jésus leur explique que la vérité de sa présence dépend de l’accueil qu’ils font, que nous faisons, à un enfant comme celui-là. Autrement dit, il est bien facile de prétendre que Jésus, présence invisible, est au cœur de notre communauté. Mais si la personne du petit, du faible, du pauvre n’y est pas, le Christ non plus ne s’y trouve pas !   
       Il y a là une chaîne d’accueil qui tient à notre compréhension du message de Jésus sur le service, un service qui est accueil de la personne du petit, et cela au nom de Jésus, en fidélité à sa parole. Accueillir un petit, c’est accueillir Jésus et le Père qui l’a envoyé. Si on retourne la proposition, c’est un peu plus difficile à entendre : ne pas accueillir un petit, c’est refuser d’accueillir Jésus et celui qui l’a envoyé. S’il y a un triangle qui demeure, c’est celui qui relie le petit, le Fils et Dieu. 

      
C’est un test d’authenticité évangélique que Jésus administre à ses disciples et à nous aussi aujourd’hui. Comment un disciple pourrait-il accueillir un « petit », si son regard est toujours dirigé vers les hauteurs sociales, le désir d’être grand ?     
       Jésus fait quand même une belle concession à ses disciples. Puisque leur esprit de compétition est indélogeable, indécrottable, alors allez-y, « si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous! ». Notons cependant qu’il n’y aura pas de cérémonie de remise des médailles, seulement la joie de l’Évangile à célébrer !