Bonjour ! C’est une joie de me retrouver parmi vous aujourd’hui, comme prêtre-répondant de cette communauté chrétienne.
La semaine dernière, je faisais mes adieux à la paroisse du Sacré-Cœur de Toronto, la plus ancienne paroisse francophone de ce diocèse. Un paroissien m’a remercié pour les quatre années à cette église en me disant que j’étais un prêtre au « style particulier ». J’espère que je serai en affinités avec la communauté chrétienne Saint-Albert-le-Grand qui a aussi son « style particulier ».
La célébration d’aujourd’hui nous offre une occasion de réaffirmer notre option de foi, en reprenant la conviction des disciples envers Jésus : « À qui irions-nous? Toi seul a les paroles de vie ».
À qui irions-nous ?
À qui irions-nous ? La question, prise isolément, ressemblerait à la perplexité éprouvée devant un menu. Quoi choisir devant une multitude d’options ? Parmi les propositions de bonheur, laquelle peut remplir ses promesses ? Cette question, « à qui irions-nous », peut aussi être chargée d’anxiété : comment se situer devant des voix contradictoires et des visions du monde qui s’excluent mutuellement ? Enfin, autre possibilité, ce à « qui irions-nous » pourrait convenir à des gens revenus de tout, qui auraient fait le tour de toutes les offres disponibles pour finalement conclure à une impasse : vaut mieux ne plus rien attendre de personne. Pour les disciples, la question « à qui irions-nous? » est toute rhétorique, elle est en fait une réponse, l’affirmation que leur recherche a trouvé son aboutissement en Jésus et qu’ils n’ont aucune intention d’aller voir ailleurs. Voyons un peu comment ils sont arrivés là, ce sera aussi pour nous l’occasion de confirmer notre option de foi.
Le discours sur le pain de vie faisait suite à la multiplication des pains. Une foule nombreuse avait alors été comblée, rassasiée par le prodige accompli par Jésus. À la synagogue, les choses ont commencé à se gâter à partir du moment où il a identifié le « pain descendu du ciel » à sa propre personne. L’auditoire a déchanté. Ce pain-là était autre que celui auquel les gens aspiraient. Comment Jésus pouvait-il se prétendre le « pain descendu du ciel »? Loin de calmer les esprits, il en rajoute une couche en déclarant : « qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui » ou encore : « le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde ». Pour bon nombre, ce discours est proprement imbuvable ! « On ne mange pas de ce pain-là! ».
Au terme du discours, il n’y a plus qu’un petit reste de disciples. Les motivations des uns et des autres se sont clarifiées. Il y avait ceux et celles qui ne demandaient que du pain ou qui réclamaient des signes sans pourtant adhérer à leur signification. Il y avait aussi ces auditeurs curieux, intrigués par une parole autre, mais qui n’ont pu en accueillir toute la nouveauté, déroutés par une promesse de vie de quelqu’un en tout semblable à eux. Et enfin, il y avait ce petit groupe de disciples. Pourquoi sont-ils encore là ? Par sympathie pour celui qu’ils avaient suivi jusque-là ? Jésus les remet à leur liberté, il les délivre de toute obligation à son égard : « Voulez-vous partir, vous aussi ? ». C’est alors que Pierre, au nom de la communauté des disciples y est allé de cette belle affirmation de foi : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu ».
Ce discours sur le pain de vie a fait advenir le groupe des disciples à la foi véritable, une foi de conviction. Les disciples savent maintenant en qui ils croient et en quoi ils croient. Ils ont fait un choix fondamental. Ils ont décidé de continuer d’être à la suite de Jésus alors même que le plus grand nombre faisait défection. Ils ont réitéré de façon radicale le choix du peuple de Dieu raconté dans la première lecture, au livre de Josué: « plutôt mourir que d’abandonner le Seigneur ». Cette option se justifiait par le souvenir de la libération d’Égypte et par le soutien constant de Dieu dans la longue marche au désert
Les disciples de Jésus ont appuyé leur décision sur la parole de Jésus, cette même parole qui a fait scandale pour les auditeurs du discours sur le pain de vie. Le petit reste des disciples a reconnu que les paroles de Jésus sont esprit et vie. Ils ont cru !
Aujourd’hui, avec vous, je célèbre ma première eucharistie comme prêtre-répondant. Je ne vous connais pas encore. Mais je sais que votre présence est une réponse à cette question-affirmation, « À qui irions-nous? », que vous cautionnez, que vous sanctionnez, que vous approuvez la décision du groupe des disciples et que vous vous en réclamez, ici et maintenant. Votre foi n’est pas une foi sociologique. C’est bien une foi de conviction qui n’est pas seulement une simple spiritualité. C’est une foi vécue en Église, une foi qui se nourrit du pain vivant qui donne vie. C’est une foi assumée dans un contexte où elle n’est plus une référence, où elle n’emporte l’adhésion que d’un faible pourcentage de la population, la plupart se tenant à l’écart pour ne même pas entendre « une parole trop dure ». Peut-être un jour, leur faim les ramènera-t-elle au pain véritable ?
Notre foi, c’est l’évangile d’aujourd’hui qui nous le fait comprendre, notre foi est née minoritaire. Le « nous » que nous formons n’en est pas un de repli mais d’attachement à une parole porteuse de vie et de vie éternelle. Nous savons que la plupart des gens de notre entourage ont pris une autre option. Nous les respectons, nous partageons avec eux une histoire commune, nous ne nous excluons pas du « nous » de la société. Mais notre foi nous emmène à affirmer notre option prise envers la personne de Jésus en qui, comme Pierre, nous reconnaissons « le Saint de Dieu ». Nous participons activement à cette société qui est la nôtre, tout en maintenant ce « quant à nous » qui désigne une appartenance à une communauté de foi, celle qui nous réunit ici, la communauté chrétienne Saint-Albert-le-Grand, au sein de laquelle nous nous nourrissons du pain d’une parole ouverte et vivifiante. Nous aussi, comme les disciples fidèles, passons à table, effectuons ce passage que nous propose Jésus qui, aujourd’hui encore nous offre son Corps et son Sang, sa chair pour notre vie et la vie du monde. Que le Pain auquel nous prendrons part soit vraiment l’affirmation de notre foi et la conforte toujours.