Chaque année, durant le carême, l’Église nous fait entendre le récit de la transfiguration. C’est une trouée de lumière qui illumine la grisaille de la route qui conduira au matin éclatant de Pâques. Quand nous entendons le mot de transfiguration, nous savons qu’il est question de lumière, la lumière qui éclaire les réalités de notre monde le plus ordinaire… Comme la lumière du lever ou du coucher de soleil qui met en relief certains éléments d’un paysage qu’on n’avait pas vus avant, avec autant de netteté. Elle ne dure pas longtemps mais elle les imprime dans notre mémoire pour plusieurs jours.
C’est l’occasion pour nous ce matin de méditer, à la manière des peintres orientaux d’icônes, sur le mystère de Jésus Christ comme icône de Dieu et comme icône de l’humain.
D’abord, Jésus Christ comme icône de Dieu.
Le récit de la transfiguration nous apprend à lire l’Évangile comme il convient. Il nous aide à situer les faits et gestes de Jésus à la lumière de la foi pascale. Celui qui sera condamné comme blasphémateur est bien le Messie souffrant annoncé par Isaïe. Celui qui passe pour le fils du charpentier est bien le Fils de Dieu. La transfiguration est comme un flash éblouissant sur la face cachée de la personne de Jésus.
Elle anticipe la lumière de Pâques qui montre l’unité de Jésus et de Dieu. Le Dieu de Jésus Christ n’est pas un principe immobile ni un législateur impassible. Il est une personne qui veut entrer en contact avec nous. La transfiguration est comme le sommet de l’histoire de la révélation de Dieu qui commence avec Abraham, et qui le montre s’incarnant progressivement chez les humains. Jésus est plus qu’un prophète qui témoigne. Il est l’habitation corporelle de Dieu. Il nous montre un Dieu qui frémit de compassion devant la souffrance et la misère humaines. Il n’y a pas d’autre Dieu à imaginer. Le Christ est bien l’icône de Dieu.
Le récit de la transfiguration nous révèle aussi Jésus Christ comme icône de l’humain.
En lui, nous pouvons regarder en face ce qu’il y a dans tout être humain sans désespérer. Créés aussi à l’image du Christ, nous pouvons découvrir dans nos pauvres corps humains une lumière capable de les transfigurer. Il ne s’agit pas d’humilier nos pauvres corps de chair pour mieux exalter nos corps de gloire. La transfiguration vient affirmer la continuité entre ce que nous sommes et ce que nous serons. En chacun de nous il y a une puissance de transformation, une capacité de spiritualisation de notre corps lui-même. Tout dépend de notre manière d’habiter notre corps et de notre manière d’être au monde.
Au nom même du mystère de la transfiguration, le chrétien est quelqu’un qui ne se bat pas seulement pour la dignité de la personne, prise abstraitement. Il se bat aussi pour la dignité du corps. Comme dans les yeux des personnes, au milieu de gravats dans la bande de Gaza ou au milieu de ruines fumantes dans des villes d’Ukraine, où on peut lire la revendication d’être toujours des humains capables de se relever et de se tenir debout. Cette lumière dans leurs yeux nous révèle la vraie dignité de toute personne même quand elle est obligée de vivre dans des conditions abjectes.
Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Écoutez-le.
De même que les levers ou couchers de soleil ne durent pas longtemps, la transfiguration sur la montagne n’a été qu’un moment fugitif. C’est pourquoi la vision du Christ, sur fond de lumière éblouissante, coïncide avec une Parole qui retentit du sein de la nuée : Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Écoutez-le. Il y a ici une observation très profonde. Les humains de la Bible ne sont pas comme ceux du paganisme antique en quête de merveilleux. Des gens qui guettaient une manifestation de Dieu à partir des signes et des prodiges de la nature. Le Dieu de la tradition judéo-chrétienne se révèle par sa Parole.
Les humains de la Bible sont donc plus des gens de l’écoute que des gens de la vision. Le croyant biblique est d’abord un humain qui obéit, sans voir, à la Parole de Dieu. Il fait confiance, il avance dans la foi. La gloire de Dieu est quelque chose de trop lourd et de trop terrifiant pour être contemplée face à face. Mais justement, grâce à l’écoute de cette Parole, le croyant sera en mesure de déceler les signes de la gloire de Dieu non seulement dans la réalité quotidienne, mais même dans ce qui semble le plus opposé à la gloire, c’est-à-dire dans la souffrance et dans la mort.
La gloire de Dieu n’est pas le rayonnement d’une lumière plus aveuglante que le soleil. C’est le rayonnement de l’amour tel qu’il a été personnifié sur la croix. L’écoute de la Parole, à laquelle nous nous livrons chaque dimanche, vise justement à éveiller en nous de nouvelles façons d’incarner cet excès d’amour qui nous vient de l’Esprit du Christ.
En ce temps de carême, que cette Parole éclairante nous conforme de plus en plus à l’agir évangélique du Christ icône de Dieu et icône de l’humain.