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Communauté chrétienne St-Albert le Grand





Premier Dimanche du Carême

André Descôteaux

Gn 22, 1-2.9a

Un nouveau départ

Les enfants aiment bien dessiner le Déluge ou encore écouter une histoire le racontant. Des animaux, dans une arche, voguant sur les eaux! Même si l’histoire est tragique, elle fascine.           
           
D’un point de vue exégétique, le récit du Déluge de notre bible est tributaire de mythes m&eacu te;sopotamiens beaucoup plus anciens que la rédaction biblique. On peut remonter jusqu’à 3000 ans avant notre ère. La version qui a inspiré les rédacteurs de notre histoire raconte que les dieux exaspérés par les humains, de plus en plus nombreux et de plus en plus bruyants, faisaient un vacarme perturbant leur sommeil. La discothèque d’en bas dérangeait les dieux de l’étage au-dessus! Ainsi la décision fut prise de les éliminer par un déluge. Mais, par un stratagème, un dieu ami des humains avertit un homme du nom d’Atrahasis de la catastrophe et l’enjoint de construire une arche. Le déluge éclate! Après les pluies, l’arche se pose. Atrahasis, après que les eaux se furent retirées, offrit un sacrifice aux dieux qui humèrent la bonne odeur. Ils prirent alors la décision de garder les humains qui avaient échappé à leur colère, car ils se rendirent compte qu’ils avaient besoin de ceux-ci pour les servir.       
           
Vous aurez remarqué les similitudes, mais également les grandes différences avec notre récit. En effet, Dieu intervient parce qu’il conclut à l’échec de son projet et non à cause de son sommeil perturbé. La multiplication des humains allait de pair non avec l’amplification du bruit, mais avec la multiplication du mal. Dieu s’en afflige au point de concevoir le projet de détruire son œuvre une fois pour toutes. Mais il se heurte à un obstacle. Il y a Noé, un juste, une personne intègre perdue dans une génération corrompue. Que fera Dieu? C’est simple : on efface tout et l’on recommencera avec Noé. Le projet de vie de Dieu traversera la mort et la destruction en vue d’un nouveau départ.     
           
Nous connaissons la suite de l’histoire. Le déluge éclate. Après un certain temps, Noé peut enfin sortir de l’arche. Après avoir offert un sacrifice, Dieu relance l’humanité. Il reprend les mots de la première création : « Fructifiez et multipliez et emplissez la terre ». C’est la même parole. Noé est ainsi invité à devenir le père d’une nouvelle humanité à une large fécondité et à un épanouissement possible.        
           
Plus encore, Dieu renonce à la violence. Dans certaines représentations très anciennes, Dieu est parfois perçu comme un guerrier armé d’un arc et qui lance des flèches sur ses ennemis. Elles sont comme la foudre et sèment la mort. Ici, Dieu dépose littéralement son arc, il dépose les armes. Cet arc terrible devient alors l’arc-en-ciel, qui semble unir le ciel à la terre. L’arc-en-ciel rappellera à Dieu l’alliance qu’il établit de lui-même avec l’humanité, non parce qu’il a besoin d’elle, mais parce qu’il l’aime. Plus de destruction, mais une alliance       
           
Mais, dans le cadre de cette alliance qui prendra plusieurs formes, si Dieu abandonne le recours à la force destructrice pour éradiquer le mal, il ne désarme pas dans sa lutte contre celui-ci et contre la mort. Son intention sera vite mise à l’épreuve, car, plus tard, Noé, ayant planté une vigne, s’enivrera et sera déshonoré par un de ses fils! Le mal est toujours au cœur de l’être humain même de ceux sauvés du déluge!           
           
Dans l’évangile de ce matin, à travers ce très court récit, nous voyons exactement comment agit celui qui ne désarme pas face au mal qui nous afflige et que nous nous infligeons. Il nous envoie son Fils, son bien-aimé. Tout de suite, après avoir entendu, à son baptême, la Parole du Père l’identifiant comme son Fils et avoir vu les cieux s’ouvrir, Marc nous dit que l’Esprit poussa Jésus au désert. Il vaudrait mieux dire l’Esprit le chassa. Jésus se trouve en quelque sorte expédié dans le désert où il est tenté durant 40 jours par Satan. Encore là, la traduction est inadéquate. Marc nous dit que Jésus a été mis à l’épreuve par Satan, c’est-à-dire testé. Il ne faut pas moins que le chef d’opposition à Dieu pour éprouver le fils bien-aimé. Marc n’en dit pas plus. On peut supposer que l’épreuve, survenant immédiatement après son baptême, porte sur son être même de fils ou sur la voie qu’il aura à inventer pour mettre en œuvre l’Esprit qu’il a reçu. Si Noé avait trouvé grâce aux yeux de Dieu parce qu’il était juste, Jésus, en surmontant l’épreuve, est le juste par excellence. Il est le Fils désiré. Il est vraiment l’être humain tel que voulu par Dieu, plus que cela il est le premier-né de l’humanité nouvelle. Une nouvelle alliance se réalisera en lui. Un nouveau départ est rendu possible grâce à lui.            
           
D’ailleurs, de l’indication que Jésus vivait parmi les bêtes sauvages et qu’il était servi par les anges se dégage une impression d’harmonie qui rappelle la prophétie d’un monde nouveau. « Le loup habitera avec l’agneau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira » Et encore « il n’y aura plus de mal ni de corruption sur toute ma montagne sainte » (Is 11, 7-9). Oui, un nouveau départ est en vue.        
           
Et ce sera ce Jésus, ce Fils bien-aimé, en qui Dieu met toute sa joie qui incarnera la volonté de Dieu de libérer l’humanité du mal, de la violence, de la mort non par la violence, mais en ouvrant un espace de vie, de liberté et de pardon.           
           
Nous savons tous comment sa vie se terminera. Jésus fera alors de sa mort un don, un don qui devient le signe que les bras de Dieu ne se ferment jamais même lorsque nous le rejetons. Un don qui devient passage de la haine à la réconciliation, de la violence à la paix et de la mort à la vie en plénitude. Comme le dit une prière eucharistique « avant que ses bras tendus dessinent entre ciel et terre le signe indélébile de ton Alliance, il voulut célébrer la Pâque au milieu de ses disciples ». Le Christ est l’arc-en-ciel, le signe de la Nouvelle Alliance. Un nouveau départ est vraiment possible, cette fois, sans que l’humanité soit détruite.         
           
Ainsi, en ce début de carême, préparons à entrer dans sa Pâque en accueillant son appel pressant « convertissez-vous, croyez à la Bonne Nouvelle ». Croyons à la Bonne Nouvelle. Un nouveau départ est possible. Il devient réalité en lui.  Amen.