CCSA






Communauté chrétienne St-Albert le Grand





5e Dimanche du Temps Ordinaire

André Descôteaux

Marc 1, 29-39

La souffrance n'a pas le dernier mot


Job percutant et sincère ose interpeller son Dieu. « Souviens-toi, Seigneur, ma vie n’est qu’un souffle, mes yeux ne verront plus le bonheur ». Même si Job est un personnage fictif, il en existe une multitude d’exemplaires. Il est là dans les hôpitaux, dans l’angoisse et la solitude des mourants. Il est là où l’on souffre de la faim et de la soif. Il est là, victime de la violence de nos guerres et de nos barbaries. Comme disait une exégète, « au fond, c’est Monsieur ou Madame tout le monde ».  Homme heureux, il était entouré d’une famille nombreuse et connaissait la réussite financière et sociale. Et voilà qu’il perd tout. « Finies la famille, la maison heureuse, morts les enfants, envolée la richesse et parties la santé, la force physique; il n’était plus qu’une plaie, repoussée par tous » . Il lui reste encore, cependant, l’audace de crier sa souffrance, d’en appeler à Dieu et de refuser les explications consolatrices d’amis. Non, son mal ne peut être une punition divine, car lui, Job, est juste! Non, sa souffrance ne peut être une école de vertu.  
           
Il ne lâche pas son Dieu. Il l’interpelle. Dieu finit par lui répondre tout d’abord en affirmant que c’est Job qui a bien parlé de lui et non ses amis. Il l’invite ensuite à contempler l’ensemble de la création et à comprendre que « ses pensées ne sont pas nos pensées ». Job ne reçoit aucune explication au problème de la souffrance, mais il nous indique une voix : « ne pas retenir nos cris, garder confiance et tenir fort la main de Dieu ». 
           
C’est justement cette main que nous voyons à l’œuvre dans la guérison de la belle-mère de Pierre. « Jésus s’approcha, la saisit par la main et la fit lever ». Marc ne relate aucune parole, mais simplement un geste : Jésus prend la main de la belle-mère de Pierre et la fait se lever. Sa main est guérisseuse, elle est toute-puissante. Il la fait se lever. Les exégètes nous rappellent que le verbe « mettre debout » utilisé par Marc peut être traduit par « ressusciter ». C’est ainsi que ce geste de Jésus me rappelle la belle icône de la résurrection où nous voyons Jésus descendu dans les enfers tendant la main à nos premiers parents Adam et Ève pour les en faire sortir et les conduire en paradis.  
           
Jésus nous prenant la main. Claudel disait : « Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance. Il n’est même pas venu l’expliquer. Il est venu la remplir de sa présence ». Dans les Écritures, nous ne trouvons pas d’explication de la souffrance. Denis Moreau, un philosophe chrétien, avoue que le problème du mal est en quelque sorte le talon d’Achille du christianisme, car nous confessons à la fois un Dieu tout-puissant et un Dieu bon. Ces deux affirmations ne sont-elles pas contredites par le mal que nous devons supporter?        
           
Oui, comme le dit Claudel, le Christ est venu l’habiter. S’il prend la main de la belle-mère de Simon, il prend à bras le corps la souffrance et la mort en devenant lui-même, lui l’Innocent, le Juste victime de l’injustice, de la violence, du mal et ultimement de la mort. La réponse de Dieu est son Fils mourant sur la croix dont on transperce le cœur. Cette croix devient signe de la présence de Dieu dans nos souffrances et de la victoire sur elles qui nous conduit vers la vie en plénitude. Ce qui fait dire à Saint Paul : « j’estime qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire qui va être révélée pour vous » (Rm 8, 18). Malgré la souffrance qui existe toujours, même si nous gémissons encore, pour reprendre les mots de Saint Paul, nous sommes habités par une profonde espérance. Toute l’existence de Jésus, y compris sa mort, nous révèlent qu’il la combat non dans les hauteurs, mais au sein de l’humanité dont Jésus partage la souffrance. Les cris de tous les hommes et de toutes les femmes deviennent les siens de sorte que l’espérance est possible.  
Revenons à la belle-mère de Pierre. Marc nous dit que la fièvre l’ayant quittée, elle se mit à les servir. Je comprends que nous pouvons être agacés : encore le schème où la femme est au service des hommes. Mais Jésus n’est pas un ramancheur. Il est un guérisseur spirituel qui veut réconcilier les êtres humains avec Dieu et avec eux-mêmes. À travers les guérisons qu’il opère, c’est toute la personne humaine qui est guérie, en son intérieur même. Le service n’est-il pas le signe de la santé spirituelle ? Les apôtres mâles éprouveront beaucoup de difficultés à le comprendre. « Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous, car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir » (Mc 10, 42-45).         
           
L’exégète André Beauchamp dans une prière inspirée par cet évangile écrit : « Si j’ai mal aux reins, je pense à toi. Si j’ai mal au foie, je pense à toi. Si j’ai mal à la tête, je pense à toi. Si j’ai mal au ventre, je pense à toi. Quand je n’ai mal à rien, je pense encore à moi. Je suis peut-être plus malade que je ne pense » .    
           
Servir n’est-ce pas ce à quoi le Seigneur nous invite aujourd’hui ? Dans sa lutte contre la souffrance, servir comme les scientifiques, les médecins, l’ensemble du personnel médical. Servir aussi en étant simplement présent, en tendant une main qui console, qui caresse un front, qui tient une main. Un souvenir. Ma mère avait été victime d’un AVC. Elle ne pouvait parler ni comprendre ce qu’on lui disait. Ne sachant quoi faire, une infirmière me dit simplement « tenez-lui la main ».  Comme Jésus, il n’est pas nécessaire de parler longuement – d’ailleurs, les paroles peuvent être contre-productives. À cet égard, après le décès de ma mère, j’ai reçu plusieurs messages de condoléance dont un d’un confrère dominicain qui terminait en me disant que ma mère serait beaucoup plus par l’amour de Dieu que par le mien. Théologiquement parlant, 100% mais comme encouragement 0 ! Être simplement présent, être présente. Il y a, aujourd’hui, comme à Capharnaüm, tant de malades, tant de personnes souffrantes qui ont besoin d’être entendues, d’être soutenues et d’être comprises.           
           
Finalement, nous pouvons à la manière de Jésus qui se leva tôt pour prier, prier nous aussi pour toutes ces personnes qui, pour une raison ou une autre, ne sont plus capables de prier. Et prier aussi pour nous, comme nous le ferons dans la prière eucharistique : « Père, ouvre nos yeux aux détresses de nos frères et sœurs, inspire-nous la parole et le geste qui conviennent pour réconforter ceux qui peinent sous le poids du fardeau, donne-nous de les servir avec un cœur sincère selon l’exemple et le commandement du Christ lui-même ». Amen.     


Thabut, Marie-Noëlle. L’intelligence des Écriture. Tome 4, p. 83

Beauchamp, André. Comprendre la Parole, année B. p. 278