CCSA






Communauté chrétienne St-Albert le Grand




 

 


20e Dimanche du Temps Ordinaire

Mt 15, 21-28

Is 56 1. 6-7

Rm 13-15, 29-32   

André Descôteaux

LA FOI QUI BOULEVERSE TOUT

Même si cet évangile se termine par une fin heureuse, à part cette Cananéenne, les autres protagonistes font pâle figure. Et c’est peu dire! Les disciples sont égaux à eux-mêmes. Ils ne s’intéressent en rien à ce que vit cette mère éplorée. Ils ne veulent rien savoir de sa situation et du drame dans lequel elle et sa fille sont plongées. « Dégage, tu déranges ». Il voudrait bien que Jésus la renvoie.  D’ailleurs, Jésus, lui non plus, ne nous impressionne pas par sa compassion. Cela nous surprend. Ainsi Jésus, au lieu de réprimander ses disciples, comme il l’avait fait quand ils essayèrent d’empêcher les petits enfants de venir à lui, il leur emboîte le pas. Il est très conscient de sa judaïté. Il est face à une païenne faisant partie d’un peuple exclu. Même adoucie, l’expression ‘petits chiens’ est méprisante.
    
Certains commentateurs se voulant respectueux de Jésus sont d’avis qu’il a voulu tester la foi de la Cananéenne lui, omniscient, sait bien qu’il va guérir sa fille, mais il veut la pousser dans les derniers retranchements de sa foi. Si tel est le cas, il réussit admirablement bien. Jésus me ferait alors penser à ces professeurs qui écrivent une phrase au tableau avec un mot mal orthographié. Aux étudiants l’ayant remarqué, il répond qu’il l’avait fait exprès pour savoir s’ils s’en étaient rendu compte!   
    
Face à ces attitudes, il faut bien reconnaître que la Cananéenne est forte. Elle est une mère. Elle aime sa fille et elle veut sa libération du démon qui la tourmente. Elle croit que ce Jésus peut faire quelque chose pour elle. Elle l’appelle « Seigneur, fils de David ».  Elle ne se laisse décourager ni par les rebuffades des disciples ni par les propos injurieux que lui adresse Jésus. Même s’il y a peu d’espoir, elle s’accroche et va jusqu’au bout. Et elle réussit. Une vraie judoka! Elle prend Jésus dans son inertie et, accompagnant son élan, elle le renverse et le met au tapis. Jésus est beau joueur et le reconnaît. Elle a gagné.  
    
« Ta foi est grande », lui dit-il. Oui, sa foi est grande. Et elle est un exemple pour nous tous. Non seulement sa foi est tenace au point d’être venue à bout de l’opposition de Jésus – d’ailleurs, ce n’est pas la première fois dans l’Évangile que la foi du demandeur pousse un Jésus réticent à accorder la guérison demandée – mais ici, sa foi va beaucoup plus loin. Elle change la vision même que Jésus avait de sa mission.
    
La foi, une clé. Une clé qui ouvre un chemin nouveau pour elle et sa fille en lui permettant d’obtenir ce qu’elle souhaite, mais une clé, également, qui ouvre à Jésus une compréhension approfondie de sa mission. Tout particulièrement, dans l’Évangile de Matthieu, Jésus considère que sa mission ne s’adresse qu’à Israël. C’est ainsi quand il enverra ses apôtres en ministère, il leur dira de n’aller que vers les brebis perdues d’Israël. Ce n’est qu’à la toute fin de l’Évangile, après sa résurrection, alors qu’il est sur le point de les quitter qu’il leur ordonne de baptiser toutes les nations.  
    
Il faut bien se rendre compte que Jésus est humain. En s’incarnant, Dieu n’a pas fait semblant d’être un humain. Comme tous les enfants, il a dû apprendre à marcher, à lire, à écrire! On lui a enseigné à prier les psaumes. Il porte les conceptions de son temps même s’il témoigne d’une très grande largeur de vue. Mais, pour le moment, comme je le disais, il ne se voit qu’envoyer aux brebis perdues d’Israël. Tout change avec la foi de la Cananéenne. Il prend conscience que, maintenant, avec lui, se réalise la prophétie d’Isaïe, que nous avons entendue, en première lecture : « les étrangers qui se sont attachés au Seigneur, je les conduirai à ma montagne sainte et je les comblerai de joie dans ma maison de prière pour tous les peuples ». Dieu a obligé Jésus, non par un prophète ou un grand sage d’Israël, mais par la foi tenace d’une Cananéenne à comprendre qu’il devait maintenant se tourner vers les païens. La foi dépasse les frontières nationales ou même religieuses. La Cananéenne l’a poussé à revoir sa copie, pourrait-on dire.  
    
Il y a un autre cas dans tous les évangiles où la foi réussit à modifier la compréhension que Jésus a de sa mission. C’est la foi de Marie à Cana. Après l’avoir informé qu’il n’y avait plus de vin et avoir été rabrouée par lui : « Quoi, à moi et à toi, femme? Mon heure n’est pas encore venue », Marie ne se laisse pas décourager et demande aux serviteurs de faire tout ce que Jésus leur dira. Comme pour la Cananéenne, après un premier refus, Jésus lui accorde ce qu’elle lui avait demandé. Mais il faut aller plus loin, comme le dit le frère Michel Gourgues, notre frère exégète : « la foi de Marie est d’une certaine manière, ce qui déclenche tout. En ce sens que c’est la présence de cette foi qui incite Jésus à accomplir le signe inaugural qui va lui permettre de manifester sa gloire et d’entrer dans l’accomplissement de l’œuvre reçue du Père. D’une certaine façon, la foi de Marie est à l’origine de la mission. »  Et ailleurs : « Sa foi serait l’indicateur de la volonté du Père ». Ce n’est pas rien!
    
Si Jésus a compris la volonté même de son Père par ces femmes, combien nous, ses disciples, nous ne devons pas être comme ceux qui l’entouraient : ne pas vouloir être dérangés, nous confiner dans notre petit monde. Être à l’écoute de la Parole de Dieu, c’est être à l’écoute de tous ces cris et détresses qui nous invitent à sortir de la prison de nos cœurs, à les ouvrir. C’est être attentives et attentifs à la foi des autres qui interpelle.    
    
Rappelons-nous le cri lancé par le pape François aux JMJ de Lisbonne : todos, todos, todos! Est-ce que nos communautés sont ouvertes à tous et à toutes? Combien de croyants sincères mais différents pour une raison ou une autre se sentent exclus et traités comme des petits chiens?     
    
La foi n’est pas une forteresse à l’intérieur de laquelle nous pouvons nous réfugier effrayés par un monde différent, voire hostile. Mais la foi est une clé qui ouvre à la vie! La foi est une clé qui nous permet de voir le monde avec les yeux de Dieu, ce Dieu qui veut rassembler autour de lui tous ses enfants : todos, todos, todos!     
    
Dans cette eucharistie, accueillons celui qui a donné sa vie pour la multitude. Celui qui est encore touché par la foi de quiconque s’ouvre un tant soit peu à lui. À sa suite, soyons de vrais disciples : que ce soit à l’intérieur de notre Église ou à l’extérieur, écoutons, regardons, reconnaissons la foi encore présente et laissons-nous interpeller par elle. C’est ainsi que, comme Jésus, nous entrerons plus avant dans le mystère même de Dieu et dans le mystère que nous sommes.  Amen.