Le récit de la rencontre de Jésus avec Thomas soulève bien des interrogations. Notre communauté n’y fait pas exception, bien au contraire.
M’étant rappelé qu’à deux ou trois reprises, l’évangéliste Jean rapportait des propos de Thomas à propos de Jésus, je suis allé voir si ces passages ne donnaient pas des clés pour nous ouvrir à la personne de cet apôtre si différent, mais si proche de bien de nos contemporains.
Lorsqu’après sa résurrection, Jésus vient rencontrer les disciples, il se présente toujours de la même manière, du moins chez Saint Jean : « La paix soit avec vous ». Cela se comprend bien puisque lorsque Jésus ressuscité paraît, « les disciples sont effrayés, ils pensent voir un esprit » (Luc 24, 36). Ils ont besoin d’un signe particulier pour croire à la présence de cet homme qu’ils avaient connu lorsqu’il était autre. La transformation n’est pas facile à intégrer, puisqu’à chaque fois qu’il revient, Jésus doit refaire la salutation de manière à les apaiser. De plus, la première fois que le ressuscité s’est présenté à eux, il a immédiatement senti le besoin de leur prouver qui il était : « Il leur montra ses mains et son côté ». Tous les disciples, non seulement Thomas, ont le besoin de voir, de constater par eux-mêmes ce qu’il en est de cette résurrection.
Pourquoi alors est-on plus exigeant à l’égard de Thomas? Qu’est-ce qu’on lui reproche? D’être personnel, d’avoir l’esprit critique parce qu’il veut bien comprendre? Être critique, c’est peut-être là un trait de la personnalité de Thomas. Ainsi, lors du long discours de Jésus après le repas de la Cène, ce disciple a été le seul à confronter Jésus en lui faisant remarquer « Seigneur, nous ne savons pas même pas où tu vas, comment en connaîtrions-nous le chemin? » Sa question paraît critique de la logique de Jésus. Mais, au fond, sa remarque n’était-elle pas une demande en vue de bien comprendre et, à partir de là, de se mettre vraiment en route pour ne pas se perdre sur le chemin? Thomas est à la recherche de clarté pour s’engager sur la route de manière à bien réussir le voyage.
Dans l‘histoire d’aujourd’hui, Thomas me paraît différent des autres disciples : il ose sortir du groupe pour aller ailleurs, alors que les disciples restent enfermés. Peut-être sent-il le besoin de prendre un peu d’air? Il s’est déjà profondément engagé pour Jésus et le projet a échoué. Alors que Jésus était en Galilée et qu’il avait appris la mort de son ami Lazare près de Jérusalem, le groupe avait hésité à s’y rendre en raison des risques que courait Jésus. Thomas avait convaincu les autres disciples : « Allons, nous aussi, et nous mourrons avec lui. » Aujourd’hui, il ne veut pas se faire prendre une seconde fois. Il ne met pas sa foi dans la parole des disciples. Il veut voir et rencontrer Jésus lui-même. Thomas me semble quelqu’un d’exigeant : il veut bien s’engager, d’où son esprit critique.
Ce que j’admire dans cette personnalité exigeante, c’est la profondeur de la foi qu’il professe lorsqu’il accueille la parole de Jésus : « cesse d’être crédule, sois croyant. » Comment répond-il à cette injonction? En quelque sorte, en s’extasiant : « Mon Seigneur et mon Dieu ». Il me semble que, dans les textes évangéliques, nul n’est allé aussi loin que Thomas à propos de la divinité de Jésus.
Dans l’évangile de ce midi, Jésus ne condamne pas Thomas d’avoir recherché des signes i.e. des données qui facilitent la compréhension de la réalité. Tous les autres disciples qui étaient présents dans la salle ont vu les mains et le côté que Jésus leur a montrés. Pourquoi cette donnée aurait-
elle due être refusée à Thomas? En même temps, Jésus l’invite à développer son esprit de confiance, à faire davantage crédit à la parole de l’autre. Oui à la pensée critique, mais oui aussi à l’écoute de la parole de l’autre.
Les deux dimensions sont nécessaires. Thomas n’est pas le seul à avoir besoin de voir Jésus pour croire en sa résurrection. Pour nous tous et toutes, il en va de même. Ainsi est faite notre humanité.
Aujourd’hui, c’est nous qui témoignons que Jésus est ressuscité, c’est nous qui le faisons voir, puisque nous sommes son corps. Au soir même de sa résurrection : « Jésus leur dit de nouveau : ‘La paix soit avec vous! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie.’ » Si nos actes et nos paroles ne concordent pas, comment la résurrection de Jésus pourra-t-elle être accueillie comme vivante espérance pour l’humanité d’aujourd’hui? Soyons comme Thomas.