L’évangile des béatitudes est un texte particulièrement significatif et apprécié des membres de la Communauté Saint-Albert. Chaque année à la Toussaint, nous l’utilisons pour faire mémoire des personnes décédées au cours des mois précédents. Nous choisissons cette lecture parce que nous considérons que ces béatitudes expriment bien ce que ces personnes ont voulu faire et être.
Aujourd’hui, en ce temps ordinaire, notre temps, ce texte a été lu dans un tout autre contexte. Jésus s’adresse directement à nous : « Heureux vous qui êtes pauvres de cœur. Heureux vous qui pleurez. Heureux vous les doux. Heureux vous qui avez faim et soif de justice. Heureux vous qui êtes miséricordieux. Heureux vous qui avez le cœur pur. »Lorsque Moïse était monté sur la montagne pour recevoir le Décalogue, la plupart des commandements qu’il reçut étaient limitatifs, négatifs. Prenons l’exemple du premier : Je suis le Seigneur ton Dieu. Donc, tu n’auras pas d’autres dieux que moi. À lire la Bonne Nouvelle qui nous est annoncée aujourd’hui, Jésus n’est pas de cette école; il pense et parle en termes d’horizons nouveaux et d’orientations positives. Jésus nous présente ici le portrait de qui il veut être, de comment il va vivre avec et pour nous.
En parlant comme il le fait, ses paroles remplissent d’espoir, elles ouvrent l’avenir. Le refrain sans cesse repris n’est pas compris par les gens qui écoutent comme une simple joie passagère à propos d’un événement ou d’une rencontre qui nous plaît bien. Bienheureux renvoie plutôt à « bien-être intérieur », « sérénité de l’âme ». C’est le bonheur.
Ce qui, d’une certaine façon, m’étonne dans ce texte, c’est que Jésus dit, c’est aujourd’hui le temps du bonheur, alors que ce n’est que plus tard que ces gens seront consolés, rassasiés et verront Dieu. Tout au long du discours de Jésus, on retrouve, un mélange de présent et d’avenir. Les pauvres de cœur sont déjà dans le royaume, alors que les doux recevront la terre en héritage. Maintenant, c’est aussi le temps du bonheur même si « l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi».
Ce discours peut sembler étrange à des esprits rigoureux. De fait, comme semble le suggérer la lettre de Saint-Paul lue en première lecture, on peut penser que parmi les foules qui écoutent Jésus, il n’y a pas beaucoup de sages ni de gens puissants capables de résister à la séduction du premier imposteur venu, selon le jugement probable de plusieurs intellectuels de l’époque. « Au contraire, ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi ».
Mais ces foules qui sont émerveillées par la parole de Jésus, ce sont elles qui sont confrontées à la pauvreté matérielle et humaine, à la violence des forts, à la cruauté de certains principes. La manière d’être de Jésus les touche au profond de leur cœur car elle fait remonter en eux l’espérance de l’origine de la vie, elle fait revivre l’esprit dont ils avaient été illuminés avant d’être confrontés à la réalité. Par Jésus, l’avenir commence dès aujourd’hui. C’est pourquoi ces gens ont saisi que c’est ici maintenant que nous avons à susciter la miséricorde, la paix, la justice. C’est l’avenir dans le présent.
Cette façon de vivre en suivant Jésus n’est pas que paix et beauté, elle est aussi souffrance comme le montre bien la conclusion de son discours. Accueillir la parole de Jésus dans le concret du monde n’est pas sans inconvénient, comme Jésus lui-même l’a expérimenté puisque sa façon d’être l’a conduit à la mort sur la croix. Il a été victime de la violence, mais va jusqu’à pardonner à ceux qui se félicitaient de le faire mourir avec cruauté. Voilà ce qu’a été la vie de Jésus et l’invitation qu’il nous fait de poursuivre notre route avec lui.