Bonjour en ce Dimanche de l’unité chrétienne. C’est quoi exactement, cette unité? Si on espère unifier toutes les organisations, les églises, mouvements, ordres, cultes et sectes chrétiennes dans une seule institution, c’est à oublier. Un tel corps unifié n’a jamais existé et n’existera jamais.
La diversité est donc la règle. On peut se demander pourquoi nos institutions sont si variées et résistent à l’idée d’une unification sous un cadre commun. La réponse dépasse le domaine religieux. Les institutions fortes et diverses sont nécessaires, elles garantissent un ordre sans lequel il n’y a pas de vie en collectivité.
C’est la tragédie de la religion : la plus belle expérience, le moment de la foi, l’extase d’une conversion – tout ce qu’il y a de plus beau et renversant ne dure pas. Ah, comme nous aimerions que cette belle foi du moment ait de la permanence! Mais comment faire pour que le beau moment dure?
Nous voulons saisir et comprendre notre foi, donc nous écrivons un Credo, un catéchisme de vérités qu’on croit – pire encore, qu’on doit croire.
Nous voulons communiquer notre foi, donc nous formons des prêtres et des pasteurs – des fonctionnaires au lieu de prophètes.
Et c’est cela la tragédie de la religion : au lieu de rester expérience de l’éternel elle doit devenir institution. Nous nous sentons bien confortables à l’intérieur de nos institutions, sorte de forteresses de doctrine et d’organisation qui nous expliquent le monde. Et qui nous séparent des autres églises. Les institutions fortes sont inévitables, et même souhaitables.
Quel contraste entre cette réalité institutionnelle et ce qui est présenté dans le texte de l’évangile. Matthieu parle d’abord d’une grande lumière qui s’est levée – une expérience renversante pour le peuple qui habitait dans les ténèbres. Puis Jésus proclame que le royaume de Dieu est tout proche. Ensuite il dit à Pierre et André, à Jacques et Jean : suivez-moi. Des moments magiques, vécus de façon personnelle.
C’est ça, l’expérience religieuse à son meilleur; elle est inattendue, spontanée, un éclat de lumière qui change tout. Un appel « suivez-moi » qui donne une mission à notre vie. C’est le contraire de la religion institutionnalisée. Chez Jésus il n’y pas de catéchisme standardisé, pas des spécialistes en communication, pas de rituel obligatoire. Juste un appel : « suivez-moi ». Il n’y a d’ailleurs pas d’église, pas de comité de liturgie ni loi canonique ni hiérarchie de pouvoir. Pas d’institution. Juste cet appel : « suivez-moi ».
Un autre aspect intéressant de ce texte : ce n’est pas un appel à quitter ce monde réel et établir une secte séparée. Tout au contraire, Matthieu insère son récit dans un cadre bien réaliste, un contexte de ce monde réel qui est le sien. La géographie – Galilée, Nazareth, Capharnaum. L’histoire récente – l’arrestation de Jean le Baptiste. L’institutionnel – Jésus enseigne dans les synagogues. L’économique – on réduit le personnel dans une petite entreprise de pêche. Jésus vit et travaille dans ce monde bien concret, et ceux qui le suivent le font dans leur monde, pas dans des monastères isolés.
Ça a mal tourné pour Jésus, cette insertion dans le monde concret et son appel radical à changer ce monde. Du côté économique cela ne pouvait pas fonctionner. Qui va investir s’il faut tout donner aux pauvres? Du côté des synagogues cela ne pouvait pas fonctionner. Questionner la loi et ceux qui la gardent n’était pas acceptable. Du côté politique cela ne pouvait pas fonctionner. L’occupant romain a vite étouffé dans l’œuf ce mouvement. Alors l’engagement de Jésus dans le monde concret de son époque a échoué lamentablement, et il en a payé le prix.
La fin donc? Pas du tout. La fin certes des puissantes institutions de l’époque. Ou sont-ils, les César Auguste, Hérode, Ponce Pilate, Quirinius et autres grands de l’histoire de Noël? Où sont leurs forteresses invincibles? Une fin, c’est vrai.
Mais pas la fin de Jésus. Ce qui a survécu, c’est cet appel « suivez-moi » qui continue à nous arriver à travers les siècles, de ce personnage étonnant, très humain et extraordinaire à la fois. Personnage qui nous laisse perplexes : parfois nous pensons le connaître comme un frère et parfois nous admettons avec Jean-Baptiste « et moi, je ne le connaissais pas ».
Et l’unité des chrétiens dans tout cela? Elle ne peut dire qu’une seule chose : nous suivons la voie de Jésus, cette voie de paix, d’amour et de respect pour les autres. Ou nous amène-t-elle, cette voie? Impossible de le dire. Nous vivons tous dans nos contextes différents, dans des institutions différentes. Nos églises varient aussi, et souvent nous ne les avons même pas choisies. Par exemple, moi, je suis né protestant suisse. La plupart d’entre vous êtes nés catholiques québécois. Veut, veut pas, c’est ça qui nous sommes et nos origines nous marquent, et c’est là que nous attend cette « grande lumière » qui peut changer notre vie, cet appel « suivez-moi ».
J’ai parlé de la tragédie des religions; on pourrait aussi parler de la chance d’avoir nos églises. Elles peuvent être des lieux ou nous brille cette lumière.
On peut bien regretter que les chrétiens n’aient pas bâti une seule église avec une seule autorité et un seul catéchisme. Mais une telle uniformité serait profondément fausse, malhonnête. Nos cultures varient à travers le monde et notre monde, nos histoires et appartenances varient aussi. Pour être authentique notre foi doit s’exprimer d’une façon qui reflète nos circonstances, notre culture, notre monde. La diversité des églises n’est pas à regretter mais à célébrer. Nous sommes divisés parce que nous sommes différents, Nous sommes unis par un seul nom : Jésus, et par son appel : « suivez-moi ».