« Mon fils, dès ta jeunesse, accueille l’instruction, et jusqu’à l’âge des cheveux blancs tu trouveras la sagesse », nous dit Ben Sirac le Sage (Si 6, 18).
« Aussitôt, celui qui avait reçu les cinq talents s’en alla pour les faire valoir et en gagna cinq autres », relate Saint Matthieu à travers la parabole des talents, racontée par Jésus (Mt 25, 16).
Voilà qui résume bien le parcours de vie remarquable de Saint Albert le Grand, surnommé « Docteur Universel », un des personnages les plus savants de son siècle, le XIIIe, et dont nous soulignons la fête aujourd’hui.
Né en Bavière autour de l’an 1200, il acquiert sa formation classique en « arts libéraux » à Padoue. C’est là qu’il commencera à fréquenter l’église des Dominicains et écoutera les sermons du Bienheureux Jourdain de Saxe, successeur immédiat de St-Dominique à la tête de l’Ordre des Prêcheurs. D’ailleurs, c’est lui qui l’accueillera dans l’Ordre en 1223, deux ans après le décès du Saint Fondateur.
Albert le Grand débute sa carrière d’enseignement comme « lecteur », chargé de la formation et de l’animation intellectuelle de ses frères dans différents couvents, dont ceux de Cologne et de Strasbourg.
En 1241, le Maître de l’Ordre l’envoie à Paris pour poursuivre ses études, et rapidement il y obtient une Chaire de Théologie. Il aura alors l’occasion de côtoyer et d’influencer plusieurs étudiants, dont le plus célèbre demeure Thomas d’Aquin, élève appliqué mais effacé, au point d’avoir mérité de ses compagnons d’étude le sobriquet de « bœuf muet de Sicile ». Informé de cela, Albert le Grand aurait porté secours à son talentueux élève en affirmant que « le monde tressaillera un jour du mugissement de sa doctrine ».
En 1248, Albert le Grand retourne à Cologne pour y fonder un Centre de Formation Avancée pour les différentes provinces dominicaines. Thomas d’Aquin l’accompagnera durant ce séjour.
Sa carrière d’enseignement sera l’occasion pour lui d’approfondir sa connaissance de plusieurs maîtres à penser, et surtout, d’Aristote, rencontre déterminante, à l’origine de son intérêt pour tout ce qui constitue la création et qui mérite d’être appréhendé suivant une méthode systématique. Aussi, Albert le Grand s’intéresse-t-il, non seulement à la théologie et à la philosophie, mais aussi aux sciences de la nature, incluant entre autres la biologie, la zoologie, la psychologie, la minéralogie et l’astronomie. Certes, sa contribution majeure demeure la synthèse qu’il a tenté d’opérer entre la théologie révélée chrétienne et la recherche des principes et des causes au sens d’Aristote. Il ouvre ainsi la voie à Thomas d’Aquin, qui en retour épargne peut-être Albert le Grand de l’oubli.
Mais les talents d’Albert le Grand ne sont pas qu’académiques. En effet, son charisme diplomatique et son leadership sont reconnus lors de son passage à Cologne où ses talents de médiateur sont mis à contribution afin de régler des problèmes politiques entre les Autorités de Cologne et l’Archevêque.
Peu de temps après, en 1254, il deviendra Provincial de la Province Teutonique, vaste territoire occupant le centre et le nord de l’Europe. Pendant les trois années de son mandat, il visitera à pied toutes les communautés dominicaines de la province, faisant preuve d’un dévouement fraternel et pastoral très important.
Sa carrière politique connaîtra son apogée en 1260 alors qu’il acceptera un mandat difficile du Pape Alexandre IV à titre de Grand Évêque de Ratisbonne, malgré les vaines tentatives pour le dissuader du Maître de l’Ordre, Humbert de Romans, qui y voyait une occasion de grande distraction de sa mission dominicaine faite d’étude, de vie fraternelle, de prière et de prédication.
Il retourne à sa vie contemplative, d’enseignement et de prédication en 1262, bien qu’acceptant à l’occasion d’autres mandats plus politiques.
Au crépuscule de sa vie, dans les années ’70, il se consacrera à sa Somme de Théologie, qu’il n’aura pas le temps d’achever.
Albert le Grand décèdera le 15 novembre 1280 dans sa cellule du Couvent de la Ste-Croix à Cologne. Il sera béatifié en 1622 par le Pape Grégoire XV, et canonisé en 1931 par le Pape Pie XI et la même année proclamé Docteur de l’Église. Dix ans plus tard, Pie XII le nommera Saint Patron des scientifiques.
Dans la Divine Comédie, Dante croise Saint Albert le Grand au Paradis, en compagnie de Saint Thomas d’Aquin. Il me plaît d’imaginer Saint Albert, assis sur un nuage et souriant à la vue des progrès accélérés scientifiques ayant contribué à la création ultra rapide d’un vaccin pour la COVID-19, et feuilletant un ouvrage publié très récemment par Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassies, au titre évocateur « Dieu, la Science, les Preuves- l’aube d’une révolution. » La Science serait-elle la nouvelle alliée de Dieu, comme le suggère le bandeau de l’ouvrage? Ceci ne fait-il pas écho à l’intuition de Louis Pasteur, qui déjà au 19e siècle écrivait « qu’un peu de science éloigne de Dieu, mais beaucoup y ramène »?
Saint Albert le Grand a-t-il trouvé la sagesse à « l’âge des cheveux blancs »? Certainement, il a doublé sa mise de départ en talents.
QUELQUES DOCUMENTS DE RÉFÉRENCE
Alain De Libera, Albert le Grand et la philosophie, Librairie philosophique J. Vrin, 1990.
Alain De Libera, Métaphysique et noétique- Albert le Grand, Librairie Philosophique J. Vrin, 2005.
Albert the Great, Thomas Aquinas, Selected writings, translated, edited, and introduced by Simon Tugwell, O.P, preface by Leonard E. Boyle, O.P., Paulist Press, 1988.
Benoît XVI, Saint Albert le Grand, Audience générale, Libreria editrice Vaticana 2010.
Michel-Yves Bolloré, Olivier Bonnassies, Dieu la Science les Preuves- l’Aube d’une révolution, Guy Trédaniel éditeur, 2021-22.