Dans la première lecture, nous avons entendu Habacuc, un prophète qui a vécu quelque part au 7ième siècle avant Jésus, une période de l’histoire où le peuple juif vivait un temps d’épreuves, exposé aux invasions et à la destruction. Dans sa prière à Dieu, Habacuc parle pour le peuple et au nom de son peuple. Sa prière est une sorte de cri. « Pourquoi ? — Pourquoi toute cette violence et cette destruction ? » Mais sa prière se termine par un cri d’espérance : « Le juste, à cause de sa foi, vivra. » À la fin de notre célébration, nous entendrons Paul, un vieil homme épuisé et prisonnier à cause de sa foi, exhortant Timothée à ne pas être un peureux quand il est question de sa foi au Christ, de ne pas avoir honte de témoigner de sa foi au Christ. Et, finalement, dans l’Évangile, les Apôtres demandent à Jésus : « Augmente en nous la foi ! » Fort bien, leur dit Jésus mais sachez que « si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici :
Déracine-toi et va te planter dans la mer, et il vous aurait obéi », mais contrairement à l’arbre, la foi, elle ne se transplante pas. Elle se sème.
Si aujourd’hui les apôtres demandent à Jésus d’augmenter leur foi, c’est bien parce qu’ils se rendent compte que quelque chose ne va pas. Leur questionnement ne porte pas tant sur leur foi en Dieu mais sur les images nouvelles de Dieu que Jésus leur propose à travers sa prédication et tout particulièrement à travers ses paraboles. Dieu n’est plus tout à fait le même que celui leur enfance. Il n’est plus tout à fait le même que celui dont on leur toujours a parlé à la synagogue. Des questions nouvelles sur leur foi surgissent et demeurent sans réponse. À terme, la mort de Jésus sur la croix viendra les plonger dans un grand doute : « Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. » Aujourd’hui, par la force des choses, nous, nous entendons cette demande des apôtres d’augmenter leur foi avec notre cœur de chrétiens, des chrétiens de souche et de longue date. Mais eux, les apôtres, ils ne le sont pas. Imaginez à quel point ils devaient être confus. Ce sont des juifs.
Pour eux, la foi, c’est, tout au long de leur vie, donner sa confiance au Dieu de leurs pères, celui que l’on ne peut voir que de dos, et aujourd’hui, Jésus leur dit : « qui m’a vu a vu le Père. » Pour eux, Abraham est le grand modèle de la foi, celui qui a cru à la promesse de Yahvé et qui a toujours eu confiance en son Dieu malgré les épreuves. Il est un modèle de fidélité sans faille en Dieu et Jésus leur dit : « Avant qu’Abraham fût, je suis. »
Pour eux, la Loi révélée à Moïse est non seulement immuable et un guide de vie mais elle doit être obéie avec piété et fermeté. Elle est un héritage reçu et à transmettre, et Jésus, lui, leur parle d’une loi nouvelle. Pour eux, Jésus vient chambouler complètement leur foi. Pour Jésus, la foi se vit d’abord et avant tout dans le cœur. Il veut que désormais ses disciples ne se comportent plus comme des esclaves de la Loi de Moïse mais comme des hommes et des femmes libres. La foi, c’est une démarche d’une personne libre avec un regard plein d’amour sur les autres. La foi, ça se vit et ça se voit. Cela me rappelle cette phrase de Dom Helder Camara qui disait : « N’oubliez pas que pour la plupart des gens, le seul évangile qu’ils liront sera le témoignage de votre vie » et c’est sur cette page d’évangile qu’est notre vie que certaines personnes ouvriront peut-être un jour leur cœur à la foi.
Je pourrais terminer ici mon homélie en vous laissant croire que la foi, ma foi, notre foi, est quelque chose d’extraordinaire, de limpide, une forteresse. Ce serait nous mentir. Aujourd’hui, et je le regrette, nous assistons malheureusement à un durcissement du discours lorsqu’il est question de la foi. La foi n’est plus la foi, elle est une certitude et cette certitude se transforme parfois en radicalité, comme si Dieu avait besoin de taper du poing sur la table pour nous sortir de notre sommeil et nous obliger à croire, comme si la foi, croire en Dieu, devait être quelque chose de toujours intense, unilatérale, sans faille. Personnellement, je suis incapable d’affirmer que j’ai une telle foi. Trop de questions demeurent sans réponse. Pourquoi la foi est-elle au cœur de ma vie, bien que d’une manière imparfaite, alors que mes frères qui ont eu la même éducation que moi ne croit plus? La même question se pose à l’égard de certains frères dominicains qui ont quitté la vie religieuse ou encore à l’égard de nos enfants ou certains de nos amis. La foi, j’en suis convaincu est un choix, avec des périodes de vacillements.
Je ne peux évacuer de mon intelligence qu’il se peut que je sois dans l’illusion : il se pourrait qu’il n’y ait pas de Dieu, qu’il n’y ait pas de résurrection à espérer. Malgré tout, ma foi traverse ce doute mais sans jamais le supprimer. À la radicalité d’une foi inébranlable, je préfère me rabattre sur ce que dit le théologien tchèque, Thomas Halik, sur le rapport nécessaire entre la foi et le doute et je vous invite à y réfléchir tout au long de cette semaine. Voici ce que dit Thomas Halik. Je le cite : « La foi sans pensée critique peut conduire au fanatisme et à l’intolérance. Il me semble que nous ne devrions pas attendre de la foi qu’elle fournisse des réponses à toutes nos questions. Nous devons plutôt puiser en elle le courage d’entrer dans la pénombre du mystère et de porter les nombreuses questions ouvertes et les paradoxes de la vie. La foi ne doit pas cesser de chercher et de questionner, elle ne doit pas se pétrifier dans une idéologie, ni quitter son ouverture à un avenir eschatologique. » (Cf. I. Berten, Quand la vie déplace la pensée croyante, 2021, p. 442-443).