Cet évangile que nous venons d’entendre se situe au moment du lavement des pieds et du dernier repas de Jésus avec ses disciples, repas au cours duquel Jésus livre en quelque sorte son testament spirituel. Je le cite de nouveau : « Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. » Ce commandement, nouveau à l’époque de Jésus, est devenu aujourd’hui, dans notre monde sécularisé, une formule un peu banale et trop souvent sans ancrage dans le concret de la vie, une sorte de moto passe-partout et un peu superficiel du genre : ‘’Oui à l’amour, non à la guerre’’; ‘’Faites l’amour, pas la guerre’’. ‘’L'amour est enfant de bohème. Il n'a jamais, jamais, connu de loi’’. L’amour partout, l’amour qui fait du bien. S’aimer, c’est beau, c’est exaltant, c’est si bon.
Vous l’aurez compris : Jésus, lui, ne parle pas de cet amour-là, des bons sentiments qui nous font oublier, pour un moment, les rigueurs de la vie. Pour Jésus, l’amour fait sortir de soi. C’est un commandement, certes nouveau, mais tout de même un commandement et ce commandement de Jésus doit être compris non pas comme une obligation mais dans le sens d’une mission que nous confie Jésus. Pourquoi est-ce si important pour Jésus que nous nous aimions les uns les autres ? Parce que c’est ainsi que les gens sauront que nous sommes ses disciples. C’est par cet amour bien concret, un amour qui a de la chair, que nous serons des témoins crédibles de notre revendication d’être des disciples de Jésus. Jésus ne dit pas de simplement « aimer les autres », mais nous aimer les uns les autres, autrement dit, cet amour-là, celui auquel nous exhorte Jésus, n’est pas un amour qui ne vise qu’à soulager l’autre ou à le réconforter. Cet amour, ce ne sont pas simplement des bras tendus qui donnent mais ce sont aussi des bras qui étreignent. Cet amour n’est pas celui des bons sentiments à l’égard des autres, un amour dont nous sommes tous et toutes capables, mais il s’agit d’un amour qui a pour mission de créer une communauté d’hommes et de femmes qui se distingue des autres communautés par son humanité. Mais il faut aussi aller beaucoup plus loin. Cet amour qui est au cœur et qui est le cœur de la vie et de la mission que Jésus nous a confiée, ne peut se limiter à de simples gestes, si grands soient-ils! Il faut nous interroger sur ce qui en est le fondement. Et ce fondement, c’est Jésus. C’est lui qui nous confie cette mission : nous aimer les uns les autres comme lui nous a aimés. Et comment Jésus a-t-il aimé? Il a aimé en accueillant les autres tels qu’ils sont, avec leurs blessures, leurs limites, leurs maladies, il a aimé en allant vers les autres, en pardonnant, en étant au service des autres, en donnant sa vie. Aimer comme Jésus nous a aimés, c’est aussi être capable d’aimer parce que Jésus nous a aimés et c’est dans cet amour qui nous unit à lui que nous puiserons la force d’aimer à notre tour. Ce commandement nouveau réalise ce que rien ni personne d’autre ne peut faire : la présence de Dieu là où tout semble l’exclure, là où l’amour semble voué à l’échec, voire impossible. Aimer comme Jésus nous a aimés est la marque de la présence de Dieu. Si cet amour est là, Dieu est là. À la fin de chacune des rencontres de Silence, Prière et Musique, nous chantons : Ubi caritas et amor, ubi caritas, Deus ibi est. ‘’Où sont amour et charité, Dieu est là’’, une hymne qui, dans le rite romain, est chantée le jeudi saint, lors du lavement des pieds, et qui est exactement le moment où se situe l’évangile de ce dimanche! Le commandement de l’amour du prochain tel que Jésus l’a enseigné et vécu, est nouveau parce qu’il ouvre des perspectives nouvelles, souvent inattendues, et surtout il nous donne accès à ce que l’être humain a de plus précieux : son cœur et sa bienveillance. Aimer l’autre comme Jésus nous a aimés n’est pas une simple imitation de Jésus. C’est revivre en soi et avec les autres, la communion avec Dieu. Jésus met sur un même pied l’amour dans ce qu’il a de plus intime — ce qui se passe dans le secret du cœur — et l’amour dans ce qu’il a de plus visible — la relation et la communion qu’il crée entre deux personnes. C’est comme si, en aimant comme Jésus nous a aimés, il n’y avait plus de solitude dans notre vie parce qu’il y a toujours quelqu’un à aimer et toujours quelqu’un qui nous aime, et que dans un cas comme dans l’autre, il y a toujours quelque chose de Dieu. « Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres. » Cet amour se vit en communauté et crée la communauté, la communauté des hommes et des femmes toujours reconnus, reçus et respectés pour ce qu’ils sont, tels qu’ils sont. Ubi caritas et amor, ubi caritas, Deus ibi est.