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Communauté chrétienne St-Albert le Grand





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Premier Dimanche du Carême

6 mars 2022

Jésus au désert

Martin Lavoie

Deutéronome 26, 4-10

Lc 4, 1-13

Paul aux Romains 10, 8-13

 

 

Lors de la célébration du premier dimanche du Carême, il va de soi que nous écoutions l’évangile qui nous est toujours présenté sous le titre du récit des tentations de Jésus au désert. Tentation. Un mot qui me fait grimacer. Qu’en disent les dictionnaires ?   
Une tentation est une impulsion qui pousse au péché, au mal. Il me semble que cette définition savante du mot tentation n’a rien à voir avec Jésus. En fait, le mot grec que nous traduisons par « tentation », c’est le même mot qui est utilisé pour exprimer ce qu’en français nous appelons une épreuve. La tentation, toujours selon la définition du dictionnaire, serait mauvaise en soi, car elle serait un entraînement au mal. Son but est de séduire et de faire tomber. L’épreuve, elle, a pour but de faire connaître la valeur d’une chose, d’un engagement. C’est toute la personne qui vit une épreuve. Personnellement, je préfère, et de loin, parler des épreuves de Jésus au désert plutôt que des tentations, et ces épreuves engagent Dieu lui-même. Je vais donc éviter d’utiliser le mot tentation et je le remplacerai partout par le mot épreuve.    
Qu’en est-il de Jésus dans l’évangile que nous venons d’entendre?     
Le récit des épreuves de Jésus dans le désert se trouve entre son baptême dans le Jourdain et le début de son ministère public et, élément essentiel à retenir, Luc est le seul des trois premiers évangélistes à placer la généalogie de Jésus juste avant le récit des épreuves de Jésus au désert.   
Et pourquoi ? Parce que la généalogie est la preuve que Jésus est bel et bien un homme. Il est fils d’Adam et ce sera un élément déterminant pour une juste compréhension des trois épreuves de Jésus au désert. Ces épreuves sont une sorte de prologue pour prévenir les premiers disciples de quoi sera fait le ministère de Jésus et le leur. Rappelons-nous. Qu’a dit Jésus à ses disciples lors du dernier repas, avant de se rendre au mont des Oliviers pour y prier : « Vous êtes, vous, ceux qui ont tenu bon avec moi dans mes épreuves. » Tout au long de sa vie, Jésus aura à passer à travers bien des épreuves, et tout particulièrement l’épreuve ultime d’accepter, dans la foi, de s’en remettre entre les mains de Dieu au moment de sa mort sur la croix alors que tout indique que Dieu l’a abandonné.   
Pour le moment, Jésus passe du Jourdain au désert. C’est rempli de l’Esprit de son baptême que Jésus est conduit à travers le désert. Selon le Talmud, le désert est le lieu où Dieu parle. Il est un lieu de révélation. Or, de ces 40 jours d’errance à travers le désert, nous ne savons pas ce que Dieu a révélé à Jésus. Quel était l’état d’esprit de Jésus durant ces 40 jours de solitude ? A-t-il éprouvé ce que plus tard nous appellerons « la nuit spirituelle », cette expérience de l’absence de Dieu  ? Ou bien était-il hanté par la crainte de ne pouvoir être à la hauteur des attentes de Dieu ?
Nous ne le savons pas mais j’aime penser avec Emmanuel Levinas que dans les moments de grande solitude « Dieu ne vient pas combler un manque mais creuser un désir. » Au terme des 40 jours passés au désert, la seule chose que nous sachions est que Jésus eut faim et c’est après avoir exprimé cette faim que sont survenus les trois épreuves. Un ange ne souffre pas de la faim mais un homme, oui ! Les trois épreuves de Jésus au désert avant qu’il ne débute son ministère sont des épreuves fondatrices. Elles visent toutes à montrer que Jésus est non seulement le Fils de Dieu, comme cela le lui a été dit lors de son baptême, mais elles visent à montrer que Jésus est aussi un homme, qu’il est aussi notre frère en humanité, et qu’il devra tout au long de sa vie affronter, dans son corps, les mêmes épreuves que nous, la faim, la soif, la souffrance et la mort. Que voulait celui que nous appelons le diable et qui est à l’origine de ces trois épreuves si ce n’est d’en arriver à nier l’humanité du Fils de Dieu ! Que promettait ce même diable à Adam et à Ève si ce n’est qu’en mangeant le fruit de l’arbre de la vie leurs yeux s’ouvriraient et ils seraient comme des dieux. En voulant s’affranchir de leur humanité, ils n’ont connu que la partie sombre de cette humanité. Après les 40 jours passés au désert, Jésus aurait pu choisir, lui aussi, de s’affranchir de son humanité et n’être que le Fils de Dieu, mais il a choisi d’assumer toutes les facettes de sa finitude, de cet être charnel mis au monde par une femme qui s’appelle Marie et ayant pour père un homme qui s’appelle Joseph. Le ministère de Jésus n’aurait eu aucun sens sans cette proximité et cette communion avec notre humanité. Sa faim, sa soif, ses larmes, ses angoisses sont aussi les nôtres. Si le message de Jésus touche tant le cœur des hommes et des femmes d’aujourd’hui, c’est parce qu’ils reconnaissent en lui leur propre humanité et leur propre fragilité.  
Les 40 jours de Jésus au désert m’ont rappelé un passage du Petit Prince et que j’aimerais vous lire en guise de conclusion de cette homélie et en guise d’introduction pour notre temps du Carême.  
L’avion du marchand était en panne dans le désert depuis huit jours et il ne parvenait pas à le réparer.    
- Bonjour, dit le petit prince.
- Bonjour, dit le marchand.   
C'était un marchand de pilules perfectionnées qui apaisent la soif. On en avale une par semaine et l'on n'éprouve plus le besoin de boire.   
- Pourquoi vends-tu ça ? dit le petit prince. 
- C'est une grosse économie de temps, dit le marchand. Les experts ont fait des calculs. On épargne cinquante-trois minutes par semaine.
- Et que fait-on des cinquante-trois minutes ?   
- On en fait ce que l'on veut…    
"Moi, se dit le petit prince, si j'avais cinquante-trois minutes à dépenser, je marcherais tout doucement vers une fontaine…"
Le marchand dit au petit prince : il est absurde de chercher un puits, au hasard, dans l'immensité du désert. Cependant ils se mirent en marche.   
Comme le petit prince s'endormait, le marchand le prit dans ses bras. Comme ses lèvres entr'ouvertes ébauchaient un demi-sourire il se dit : "Ce qui m'émeut si fort de ce petit prince endormi, c'est sa fidélité pour une fleur, c'est l'image d'une rose qui rayonne en lui comme la flamme d'une lampe, même quand il dort…" Et je le devinai plus fragile encore. Il faut bien protéger les lampes : un coup de vent peut les éteindre… Et, marchant ainsi, je découvris le puits au lever du jour.
      
Marchons jusqu’au lever du jour, au matin de Pâques.
Bon Carême.