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Communauté chrétienne St-Albert le Grand





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Fête du Christ Roi

21 novembre 2021

Dn 7, 13-14

Jn 18, 33-37

Ap1, 5-8 

 

 

 

« Rendre témoignage à la vérité »

André Descôteaux 

    

Dans le dialogue entre Pilate et Jésus, ce dernier essaie, me semble-t-il, de ramener Pilate à lui-même pour qu’il se situe personnellement par rapport à lui, Jésus. « Dis-tu cela de toi-même ou d’autres te l’ont dit de moi? » Et encore « c’est toi-même qui le dis ». Jésus avait déjà fait de même avec ses disciples. Après s’être informé auprès d’eux de ce que les foules pensaient de lui, il leur avait demandé : « Et vous, que dites-vous de moi? qui suis-je? ». En bien, toi, Pilate, que dis-tu de moi?      
      
Pilate se défilera. Il refusera de revenir en lui-même pour faire la vérité, pour faire entendre son ‘je’. N’est-il pas plutôt celui qui doit juger, celui qui aura le dernier mot? N’est-ce pas lui le représentant de l’empereur de Rome? L’homme Pilate s’efface devant le procurateur romain. Son critère ultime n’est pas la vérité, mais la politique et plus particulièrement son maintien, sa survie politique. N’est-ce pas ce que Jean dira un peu plus loin de Pilate ? « Lui, cherchant à le relâcher, les Juifs se mirent à crier : ‘Si tu le relâches, tu n’es pas un ami de l’empereur. Quiconque se fait roi s’oppose à l’empereur. […] Alors il le leur livra ». N’est-ce pas là un des drames du détenteur du pouvoir? Ne juger qu’en fonction de l’humeur publique, des sondages, de ses intérêts, de ses soutiens. Nous sommes loin de la vérité. Pourtant, la vérité est souvent ce qu’il craint le plus, car il sait que son pouvoir repose sur l’équivoque, les demi-vérités, voire le mensonge lorsque ce n’est pas sur la force. Il n’est donc pas surprenant de voir, aujourd’hui, de nombreux journalistes assassinés chaque année. La vérité fait peur même au plus grand des tyrans! Elle est un de ses pires ennemis!
      
Ce dialogue se termine par une question de Pilate qui a été regrettablement retranchée du texte évangélique par nos experts en liturgie, mais que j’ai quand même retenue : « Qu’est-ce que la vérité? » Dans un sens, c’est une question très maligne, très philosophique. Une question qui comporte l’avantage de ne pas engager. Pilate aurait bien pu demander à Jésus comment il pourrait entendre la voix de la vérité, comme Jésus vient de le lui dire. Non, il s’en tire par une entourloupette. D’ailleurs, a-t-il déjà cru à la vérité? Encore une fois, il n’a que faire de la vérité. Il est le lieutenant d’un empire, qui, malgré la grandeur de sa civilisation, repose ultimement sur la force et la domination. À quoi bon la vérité?   
      
Je me demande s’il ne nous arrive pas d’être un peu comme Pilate. Il y a quelques jours, je réécoutais la série « Downton Abbey ».  Dans un épisode, la mère de Lord Grantham, la douairière, veut à tout prix conserver l’hôpital local à Downton plutôt que de le voir fusionner avec celui de York. On comprend vite pourquoi : elle veut en rester la présidente. Dans un dialogue succulent, ses opposants affirment que leur choix de la fusion ne repose que sur les faits. Et elle de répondre : moi aussi, mais ce sont mes faits! Mes faits! Ma vérité! 
      
D’un autre point de vue, ne sommes-nous pas aussi, comme Pilate, un peu cyniques, désabusés? Le siècle dernier a vu tant de promesses s’écrouler : une société sans classe, la fin de la pauvreté, le grand soir, l’établissement des droits humains, la croissance illimitée, la mondialisation, la fin des conflits! Que reste-t-il? Peu de choses, si ce n’est un désabusement et des politiciens qui peuvent vociférer n’importe quelle insanité et être crus. Quand je pense à ce que des présidents comme Trump et Bolsonaro ont pu dire sur la Covid avec la conséquence d’entraîner des centaines de milliers de morts, je me demande où nous sommes rendus. Cette crise de la vérité, où nous nous raccrochons à des demi-vérités ou des mensonges qui ne nourrissent pas, qui n’édifient pas une société, mais qui plutôt la divisent, cette crise de la vérité où toutes les opinions se valent ne serait-elle pas une chance pour creuser en nous la recherche de la vérité? Pour cela, il faudrait commencer par se boucher les oreilles, par se fermer à tous les mensonges véhiculés sur Facebook, par déployer une nouvelle vigilance intérieure et un esprit critique. Il faudrait se mettre à l’écoute, silencieusement et intérieurement, comme saint Augustin le fit : « Tu étais au-dedans de moi, et moi au-dehors, et c’est là que je te cherchais ».  Entrer en soi-même pour prêter l’oreille à cette voix dont parle Jésus. « Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix ».  
      
Il y a une voix intérieure qui n’est pas dans le brouhaha ni le tapage médiatique qui nous assaille. Il y a une voix qui peut être reconnue comme celle de la personne aimée. Cette voix ne crie pas. Cette voix ne s’impose pas. Cette voix se propose!  Elle est ce qu’elle a été devant Pilate : sans ligne de défense, sans violence, simplement elle-même. La vérité nue de l’amour, sans protection, sans armée pour la défendre! Telle est la vérité dont Jésus rend témoignage! Au-delà de tous les concepts qui essaient de la saisir, c’est la vérité de l’amour, origine et fin du monde, alpha et oméga de nos vies. Elle est notre propre vérité. Nous sommes l’objet d’un amour inconditionnel et total qui est notre vraie vérité, si je puis dire.  « Dieu est amour », écrira saint Jean! Notre vie ne devient vraie et humaine que lorsqu’elle est fondée sur le socle de cet amour, lorsque le dynamisme de nos vies est la fraternité, le pardon, la douceur, la générosité, la paix, la liberté. La voilà la royauté du Christ: sa voix qui se fait entendre encore aujourd’hui, et pour les siècles à venir, malgré toute la violence, les cris, les pleurs, les mensonges. La voix qui devient pour tout être humain, quel qu’il soit, quelle que soit son époque, la voie au sens de chemin vers la vie en plénitude.     
      
Quelques heures après ce dialogue entre Pilate et Jésus, lui, Jésus, l’innocent, le Juste sera crucifié sur le bois de la croix. Il rendra jusque dans sa mort témoignage à l’amour. Ses deux bras étendus seront pour toujours l’image même de son amour et de l’amour de Dieu pour nous. Voilà pourquoi Jésus a le dernier mot. Même si la mort l’a rendu muet, même s’il s’est tu sur la croix par amour, il est maintenant le Vivant, le Seigneur, et sa voie, elle, ne s’est pas tue. Elle vit! Elle se répand. Elle n’est pas de ce monde de violence, mais elle vient en ce monde pour le transformer, pour le guérir et l’appeler à la vraie vie et à l’amour.
      
Oui, c’est Jésus qui aura eu raison de tous les Pilates du monde. Même si les témoins de la vérité sont toujours détestés, celui qui a dit « qui appartient à la vérité écoute ma voix », c’est lui qui a raison. Depuis 2000 ans, c’est lui qui a raison. Quand nous nous sentons découragés par la souffrance, la violence, quand nous sommes sur le point de céder au cynisme, à l’indifférence, il y a, en nous, une voix qui, inlassablement, résonne : « la vérité ne peut être qu’en écoutant cette voix-là, en contemplant ce visage-là ». « À qui irions-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle? »   
      
En effet, il n’y a que dans la parole de cet homme que se trouve la vérité invincible, la vérité du Dieu vivant. Il n’y a que la parole de cet homme qui n’a besoin d’aucune arme pour être resplendissante de vérité, car elle est le chemin, la vérité et la vie, elle est l’Amour.       
      
« Es-tu roi? – Dis-tu cela de toi-même? » À chacun, chacune dans la vérité de son cœur de donner sa réponse. Amen.