Je trouve très sympathique cette fête de l’Assomption de Marie. Et je ne suis pas le seul. D’ailleurs, la croyance en l’Assomption ou en la Dormition, comme disent les Orientaux, a des racines profondes. Dès le IVe siècle, des théologiens ont commencé à en parler. Quant à la fête, elle fait son entrée dans la liturgie au VIe siècle. Tout cela bien avant la promulgation du dogme par Pie XII en 1950. Le peuple chrétien aime cette fête. Il y a quelque chose de naturel, me semble-t-il, dans cette fête : un fils, qui aime sa mère et qui a été aimé par elle, ne peut l’abandonner à la mort et laisser son corps connaître la corruption. Marie a donné la vie à Jésus. Et lui, lui donne de partager sa vie en plénitude. Quoi de plus compréhensible?
Il y a d’autres raisons d’aimer cette fête, me semble-t-il. En effet, il n’est pas inintéressant que la première personne à être glorifiée dans sa chair après le Christ soit une femme. Il faut bien reconnaître que nos représentations de Dieu sont plutôt masculines. Évidemment, Marie n’est pas l’égale de Dieu, mais, au moins, il y a enfin une femme glorifiée dans sa chair dans cet aréopage d’allure plutôt masculine.
De plus, comme nous venons de l’entendre dans le Magnificat, c’est une pauvre, que toutes générations diront bienheureuse. Ce renversement proclamé dans le Magnificat où les riches sont renvoyés les mains vides et les affamés comblés de bien se réalise en Marie. L’espoir d’un monde où sont renversées les valeurs destructrices de la puissance, de la violence et de l’injustice se réalise concrètement en Marie.
Nous pouvons donc être rejoints par cette fête de bien des manières. J’aimerais revenir au rapport entre Marie et son Fils pour le préciser. Comme je le disais, pour plusieurs, Marie ayant donné la vie à Jésus, il était normal qu’en bon fils, Jésus lui donne de partager sa gloire. Pourtant, rappelez-vous ce passage de l’Évangile de Luc au chapitre onzième : « Une femme éleva la voix au milieu de la foule pour lui dire : ‘ Heureuse la mère qui t’a porté en elle, et dont les seins t’ont nourri !’ Alors Jésus lui déclara : ‘ Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent !’ »
Autrement dit, pour Jésus, ce n’est pas le lien charnel qui est premier, c’est celui de l’accueil de la Parole et de la place que nous lui accordons dans nos vies qui compte vraiment. Cela ne veut pas dire que Jésus n’aimait pas sa mère, mais ce qui est premier, ce qui est fondamental, pour être en relation avec Jésus, c’est la FOI! Et ici, Marie est championne. C’est ce que proclame Élisabeth « Heureuse celle qui a cru ». Et elle a bien raison, car il en a fallu de la foi pour accepter d’accueillir en son sein, la Parole de Dieu. Marie, une femme de foi, au point que saint Augustin soutiendra, avec grande finesse que, ‘lors de l’Annonciation, Marie, dans la foi, a d’abord reçu le Christ dans son âme avant de le recevoir dans son sein VOIR. En d’autres mots, avant de concevoir Jésus dans sa chair, elle l’a conçu, par la foi, en son cœur. Nous voyons bien que ce qui est premier ce n’est pas le lien charnel entre Jésus et Marie, mais sa foi qui se manifestera durant toute sa vie que ce soit à Cana, au pied de la croix ou avec les disciples attendant l’Esprit promis.
Tout ceci est une bonne nouvelle pour nous. Car nous n’avons, à ce que je sache, aucun lien physique de parenté avec Jésus. Le seul lien qui nous unit à lui est celui de la foi et de l’amour. C’est ça qui est important ! Même si nous n’avons pas porté Jésus dans notre chair, nous pouvons être, comme Marie, grâce à la foi, en pleine communion avec le Christ et être glorifiés comme elle dans notre chair à la fin des temps. Marie est la première en qui est manifeste ce qui se réalisera en nous, si nous mettons, comme elle, notre foi dans le Christ Jésus.
On voit bien que la fête d’aujourd’hui ne concerne pas que Marie. Elle touche en premier lieu tous les disciples du Christ Jésus. Ensuite, elle vaut pour tout l’univers. Dans le Christ mort et ressuscité, un monde a disparu, un nouveau monde est apparu. Comme je le rappelais au début de cette homélie, dans le Magnificat, Marie chante l’intervention définitive de Dieu qui renverse les puissants de leurs trônes et élève les humbles. Ce bouleversement ne s’est pas fait par enchantement. Il s’est réalisé dans la victoire du Christ sur les forces du mal qui se sont liguées contre lui et qui n’ont pas prévalu sur lui. Au contraire : il est le Vivant ! le Seigneur ! C’est ce que veut montrer le livre de l’Apocalypse dont est extraite la première lecture. Ce livre a été écrit pour des chrétiens persécutés, qui sont confrontés à la violence d’un monde se déchaînant contre eux. L’auteur de l’Apocalypse veut les soutenir en affirmant de bout en bout la victoire de Dieu. Cette clé de lecture me permet d’aborder ce texte même si je ne peux absolument pas supporter des films de science-fiction avec des monstres. J’ai même appris à apprivoiser ce texte et à l’apprécier.
Face au dragon rouge, représentation du mal, avec sept têtes et dix cornes qui, avec puissance, crée le chaos en balayant le tiers des étoiles du ciel et en les précipitant sur la terre, une femme, seule. En plus, une femme, dans un état de fragilité extrême, car elle est en douleurs, dans les douleurs d’un enfantement. Une femme ! Un bébé ! Quelle disproportion ! Quelle inégalité ! Et pourtant le dragon ne réussira pas à se saisir de l’enfant pour le dévorer, car le nouveau-né fut enlevé auprès de Dieu et de son trône. Dans cette image, nous pouvons reconnaître la résurrection du Christ qui, grâce à l’intervention de son Père, est le vainqueur des forces du mal qui cherchent à l’engloutir pour devenir, le berger de toutes les nations. Il est enlevé comme Jésus a été enlevé au regard de ses disciples lors de son Ascension. Par la suite, si nous reprenons le récit, la victoire devient manifeste quand l’archange Michel jette le dragon sur terre. (Vous pourrez poursuivre la lecture, si vous le souhaitez !) Alors peut se faire entendre le chant de la victoire : « Maintenant, voici le salut, la puissance et le règne de notre Dieu, voici le pouvoir de son Christ ». Cependant, dans le récit, si la victoire est acquise, le combat, lui, se poursuit sur la terre.
Ainsi, l’Assomption n’est pas une histoire à l’eau de rose, une gentille légende pour cœurs attendris, mais un acte de la puissance de Dieu dans l’histoire du salut. En Marie, la croyante par excellence, l’humble servante, se déploie la victoire du Christ sur la mort et toutes les forces du mal. Ainsi, quelle que soit notre situation, que soit forte notre espérance ! La foi est la clé de notre propre victoire. Le combat se poursuit, mais nous sommes les grands vainqueurs au point qu’un jour nous pourrons, comme Marie, partager la vie en plénitude du Ressuscité dans notre chair. En attendant ce jour béni, il nous est demandé de ne pas baisser les bras, mais de nous engager pour l’édification de ce monde nouveau en train de naître malgré toutes les forces qui s’y opposent. Alors, rendons gloire à Dieu en proclamant avec saint Paul : « Ô mort, où est ta victoire? Ô Mort, où est-il ton aiguillon ? » Amen.