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Communauté chrétienne St-Albert le Grand





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17e Dimanche du Temps Ordinaire (B)

25 juillet2021

Jean 6, 1-15

Le miracle de la vie

Uli Locher  

    

La multiplication de cinq pains et deux petits poissons : une histoire inouïe. Ne perdons pas notre temps en essayant d’en sauver un soi-disant noyau historique. Cela ne sert à rien et serait contraire à l’esprit de l’Évangile. Jean et tous ces conteurs de miracles veulent présenter des histoires complétement folles, pas croyables, irréelles. 5000 personnes auraient mangé à leur faim et il y aurait eu des restes qui remplissaient douze corbeilles? Cette histoire est intentionnellement déraisonnable – pas juste pour nous, mais pour les gens de l’époque aussi.
Je repose donc la question de Ponce Pilate : où est la vérité? Qu’est-ce que ce conte veut nous dire? Ou plus précisément : quel est le message de Jean, ce témoin qui était proche de Jésus? Il y a des vérités qui s’expriment par des rêves, des contes, des récits fantastiques. C’est ce que nous avons ici.
Les anciens interprètes se sont souvent servi de la méthode d’un savant de l’Antiquité, Philon d’Alexandrie, pour dépister le « quadruple message » d’un texte biblique. Selon Philon – que j’adapte légèrement - il faut se poser quatre questions : (1) que dit le texte littéralement, (2) quel est le message moral, (3) qu’en disent les croyants, et (4) quel espoir pouvons-nous en tirer?
Que dit le texte littéralement?  D’abord, il donne des précisions sur le lieu et le temps. Nous sommes sur le bord de la mer de Galilée, du côté est. La fête de la Pâque approche. Des personnages sont mentionnés : Jésus, Philippe, André, Simon-Pierre. Il y a une grande foule, attirée par Jésus le guérisseur en qui les gens voyaient le prophète, le sauveur annoncé depuis toujours. Tout cela se veut historique, concret et naturel.
Mais le conte a un double caractère.  D’un côté Jean veut démontrer la toute-puissance divine qui dépasse toute loi naturelle. D’un autre côté Jean nous montre un Jésus terre-à-terre qui s’occupe des besoins matériels, de nourriture, de la caisse communautaire, des restes du repas qui ne doivent pas se perdre. Bref : il agit en bon père de famille. Les besoins matériels lui sont importants. Certes, « l’homme ne vit pas seulement de pain » - mais pour vivre il faut du pain.
Ce qui nous amène à la deuxième question de Philon : quel en est le sens moral? Le message est direct et sans ambiguïté. Il faut que tout le monde ait à manger. Le droit au pain, c’est le droit à la vie, c’est la morale tout court, la morale par excellence. Le poète en colère chante dans l’Opéra de Quat ’sous : « la bouffe d’abord, la morale ensuite ». Gardez votre moralité, votre culture, votre vernis religieux. Le droit à la vie est non-négociable, dépasse toute autre commandement moral.
Que faire, alors? Jean cite Jésus (plus tard dans son évangile) : « si quelqu’un croit en moi il fera aussi les œuvres que je fais ». Admettons que c’est plus compliqué aujourd’hui que du temps de Jésus ou au Moyen-Âge. Aujourd’hui, l’État-providence sauve plus de vies que les aumônes, la législation environnementale plus de vies que la charité du comité aide-partage. Mais l’un n’exclut pas l’autre; en fait, l’action étatique perd son âme sans le complément individuel et communautaire. La complexité et l’énormité des tâches peuvent nous décourager. Les réalités politiques et les inégalités croissantes, la pandémie, les guerres et toute la souffrance humaine – tout cela peut nous décourager. Néanmoins, nous avons reçu le message : il faut du pain pour tout le monde. La vie avant tout. Alors : au pas, camarades politiciens et en avant, comité aide-partage.
Troisième question de Philon:  Qu’en disent les croyants? Les croyants ne sauveront pas le monde, surtout pas si leurs croyances restent figées dans des images et modèles incompatibles avec le monde moderne. Mais il y a un fond commun à tous les croyants. Paul parle d’humilité, de bonté, d’esprit de compréhension parce que nous avons tous un seul Dieu et père. Le récit de la multiplication des pains indique aussi une partie de ce fond commun de croyance. Voici les trois vérités que je trouve dans ce récit tellement incroyable.

Retournons chez Philon d’Alexandrie (d’ailleurs, il était contemporain de Jésus et juif comme lui). Quel espoir pouvons-nous tirer de cette histoire?  Du temps de Jean il y avait déjà des communautés qui célébraient la communion. Leurs espoirs avaient du concret et de l’immédiat : du pain, la paix, qu’on chasse les Romains et qu’arrive le royaume de Dieu au plus vite.
Nos conditions de vie sont différentes des leurs, notre façon de comprendre la vie l’est aussi. Les images, les contes, les symboles et surtout la compréhension scientifique ont changé. Nous ne manquons pas d’images, de rêves et de miracles, mais ce sont les nôtres, produits par nos peurs et nos espoirs, nos connaissances et nos expériences. Nous ne parlons pas de marcher sur l’eau, ou ressusciter un mort ni de multiplier des pains. Pour nous ce qui est miraculeux, c’est chaque naissance, chaque sourire, chaque acte généreux. Nos prédécesseurs voyaient les miracles dans un monde fabuleux, surnaturel; pour nous tout ce qui est naturel est miracle. Mais le message central reste à travers les cultures et les millénaires : ce qui nous unit à la foule des 5000, c’est l’univers qui nous dépasse, la création dont nous faisons partie, la communauté qui nous porte, le miracle de la vie.