Va te raccorder avec ta sœur ! J’entends encore ma mère me dire ça après que j’eus tiré du sable au visage de ma sœur, lors d’un jeu anodin, et qu’elle se fut mise à pleurer. Se raccorder avec quelqu’un ! Quel beau mot pour désigner la réconciliation. Retrouver ou refaire l’accord dans lequel nous étions. Le dictionnaire dit que c’est du vieux français. Et d’ailleurs ce même dictionnaire renvoie à un autre beau vieux mot : se raccommoder avec quelqu’un : « On se dispute, on s’entredéchire, on se raccommode sur l’oreiller, incapables malgré tout de se passer l’un de l’autre. » écrivait Paul Léautaud.
« Se raccorder » : c’est bien le processus illustré dans la page d’Évangile d’aujourd’hui. Vous avez sans doute remarqué comme moi la procédure en quatre étapes :
D’abord : Va lui faire des reproches, seul à seul. Ensuite : S’il ne t’écoute pas, prends, en plus avec toi, une ou deux personnes. Troisièmement : S’il refuse de les écouter, dis-le à l’assemblée de l’Église. Quatrièmement : S’il refuse encore d’écouter l’Église, considère-le comme un païen et un publicain. Une catégorie de gens dont Jésus, quand même, s’est occupé.
Ce qu’il est important de noter ici, c’est qu’il s’agit d’une démarche pleine de délicatesse et de discrétion. On protège le fautif d’une justice expéditive qui aurait pu l’écarter tout de suite. On humanise la justice : On parle avec le frère de la communauté. On cherche à lui faire réaliser les conséquences de ses agissements. On ne le punit pas, on lui offre de retrouver l’accord avec les gens de la communauté. C’est sans doute ce que visait ma mère quand elle m’a interpellé !
C’est une démarche qui dépasse le strict plan de l’observance des lois. Au niveau de la justice humaine, on cherche à établir des rapports équitables entre les humains. C’est l’objectif de la Charte des droits de la personne. On garantit des droits fondamentaux pour éviter les situations d’injustice, d’exploitation, de violence. Mais c’est une démarche minimale qui se limite à préciser ce qu’il ne faut pas faire : Tu ne commettras pas de meurtre. Tu ne commettras pas de vol. Tu ne convoiteras pas.
Or, l’appel à la réconciliation se situe à un autre niveau. Strictement parlant, nous ne sommes pas obligés de nous réconcilier. Du moment qu’il n’y a pas de conflit ni de guerre, ça va. C’est même déjà bien ! Mais l’Évangile nous invite à faire un pas de plus : à nous réconcilier. Dans l’Église nous ne sommes pas liés par des lois ou des nécessités d’intérêt. C’est parce que nous expérimentons la même bienveillance et le même pardon, de la part de Dieu, que nous sommes membres de l’Église.
L’Évangile, c’est plus qu’une morale, c’est plus qu’une Charte des droits de la personne. C’est la révélation d’une intention de bienveillance à l’œuvre dans notre monde et notre histoire : Dieu lui-même veut nous « accorder » avec lui. La réconciliation, ce n’est pas juste un appel, une demande. C’est quelque chose qui nous est offert, qui nous est donné : l’amour. Dans les comportements de Jésus, c’est toujours l’amour qui fait le premier pas : quand il parle avec les publicains, quand il parle avec la Samaritaine, quand il pardonne à la femme adultère.
C’est parce que l’amour est toujours disponible du côté de Dieu que nous pouvons nous accorder entre nous. Dieu cherche toujours, dans la prière, à renouveler notre capacité d’aimer. L’amour est au-delà des lois et des chartes. Comme le dit saint Paul : Celui qui aime les autres a pleinement accompli la Loi. S’il n’y avait que les lois et les chartes pour gérer les rapports entre nous, l’humanité serait bien pauvre, bien terne. Non, l’amour nous précède et Dieu nous l’offre pour donner sens à notre vie, pour nous ouvrir l’avenir.
Va te raccorder avec ta sœur ! Je me suis sans doute raccordé avec elle puisque nous sommes toujours en bons termes. Mais il y a des fois où les situations sont plus compliquées, où la brisure des accords a entraîné de grandes conséquences. Comme dans ce qui conclut la page d’Évangile d’aujourd’hui, nous sommes renvoyés à la prière pour soutenir les projets de réconciliation. Si deux d’entre vous se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux. C’est dans la longue patience de la prière que sont vécues les tentatives de réconciliation.