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Communauté chrétienne St-Albert le Grand





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18e Dimanche du Temps Ordinaire

2 août 2020  


Comment accueilir l'abondance de Dieu ?

Isaïe 55, 1-3         Mt 14, 13-21        Rom 8, 35.37-39

Raymond Latour

                   Il n’y a pas si longtemps, alors que nous étions interdits de rassemblement, l’évangile que nous venons de proclamer aurait été d’une ironie mordante. Nous avons maintenant le bonheur de nous joindre à la foule qui bénéficiera du prodige de la multiplication des pains. Peut-être avons-nous autant faim de rassemblement que de pain!       
         Jésus a tenté de s’isoler. L’évangile paraît insister sur son désir de solitude : « il partit en barque pour un endroit désert, à l’écart ». Ce mouvement coïncide avec la mort de Jean le Baptiste qui n’a pas manqué d’affecter Jésus. Cette Raymond Latourtragique fin de mission du prophète n’augure rien de bon pour celui dont il avait préparé la venue. Mais les foules n’ont pas laissé Jésus à sa réflexion ou à sa peine. Jésus veut se retirer, mais elles le suivent. Elles sont en manque, radicalement. La vie leur manque. Elles réclament Jésus, en conformité avec la présentation que Jean en avait faite. Les voilà qui le rejoignent et Jésus, saisi de compassion, répond à leurs attentes et guérit leurs malades. Elles découvrent en lui le sauveur annoncé.     
         La semaine dernière, les paraboles du trésor caché et de la perle mettaient en scène un individu qui devait investir en fonction de sa découverte. Investir pour le Royaume. Tout vendre pour acheter le terrain du trésor caché, tout vendre pour acheter la perle rare. Aujourd’hui, ce ne sont plus des individus, mais une foule. Elle se comporte comme une seule personne. Elle sait ce qu’elle veut, et que c’est en Jésus qu’elle le trouvera. Dans cette foule, personne ne peut rien miser sinon sa propre vie. C’est une foule qui ne possède rien, à part quelques pains et deux poissons. Mais cette pauvreté même a été mise à contribution pour faire éclater la gratuité et l’abondance du don de Dieu.        
         Aujourd’hui, rien à vendre! Tout à donner! Oui, c’est gratuit. Le prophète Isaïe offrait à tous l’eau, le vin, le lait, la viande, tout ce qui pouvait désigner la bénédiction de Dieu en insistant sur sa gratuité. Rien à payer! Pas d’argent? Pas de problème! Dieu lui-même se donne. « Venez à moi! Écoutez, et vous vivrez! », proclame le prophète pour annoncer des bienfaits encore supérieurs à ceux que l’argent peut procurer. Pourquoi se fatiguer, pourquoi dépenser son argent pour ce qui ne nourrit pas? Dieu par la bouche du prophète s’engage à combler son peuple de tous les biens qu’il recherche.    
         Évidemment, nous comprenons que dans l’épisode de la multiplication des pains, Jésus a réalisé cette prophétie qui longtemps aurait pu paraître comme un commercial suspect, trop beau pour être vrai. Il doit bien y avoir une arnaque. Mais non, il faut en croire ses oreilles : Dieu donne gratuitement et en abondance. Jésus en fait la démonstration.              
         Normalement, la foule, à la suggestion des disciples aurait dû se disperser pour s’acheter de la nourriture. Il devait bien se trouver un dépanneur dans les parages. Il aurait alors fallu débourser un peu d’argent pour acheter des vivres. Cette solution représentait le régime de la Loi qui prévalait jusque-là. La Loi de Moïse coûtait un certain effort, elle réclamait un tribut, exigeait une fidélité aux observances pour accorder le pain de vie. Et encore, de façon mesurée, proportionnelle aux œuvres réclamées.
         Jésus a mieux à proposer. « Ils n’ont pas besoin de s’en aller. Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Quoi? Avec cinq pains et deux poissons? Même le partage le plus équitable n’y changerait rien. Il s’agit d’une quantité dérisoire pour cette foule immense de plus de 5 000 personnes. N’essayons pas de jouer avec les chiffres!    
Cinq pains, deux poissons. Cinq et deux font sept. En langage biblique, sept, c’est le chiffre de la plénitude. Traduction : cette petite quantité de nourriture, en apparence insignifiante, fera l’affaire. Le manque n’est qu’apparent. L’évangile se terminera dans la profusion. Les réserves de la grâce ne sont pas près d’être épuisées. Si bien que nous annonçons encore comme Isaïe : « Vous tous qui avez soif, venez! ». C’est gratuit! À votre tour, vous serez rassasiés! »    
         À plusieurs reprises, Isaïe mentionne la gratuité du don, l’inutilité de l’argent. Jésus fait de même en rejetant la proposition de renvoyer la foule pour qu’elle puisse s’acheter de la nourriture. Tout cela servira à mettre en valeur la générosité de Dieu pour son peuple. Mais il ne faudrait pas perdre de vue que ce don prodigieux s’enracine dans le cœur de Dieu, dans sa compassion pour les plus pauvres. C’est à eux que s’adresse d’abord le message du prophète. Tous ces bienfaits qu’il énumère, c’est l’argent qui les procure normalement. La personne sans argent en est exclue, elle n’y a pas accès, sinon au prix d’un grand sacrifice. Ces personnes, croit le prophète Isaïe, et Jésus avec lui, ne peuvent être exclues des bienfaits du Seigneur. Pour paraphraser saint Paul que nous entendrons à la fin de notre célébration : « l’argent ne saurait nous séparer de l’amour de Dieu! »     
         Notre société est devenue de plus en plus soucieuse de l’accessibilité de tous à l’éducation, à la santé, au travail. En temps normal, nous serions en pleine saison de festivals qui assurent un certain accès aux biens culturels. On se souvient aussi de ce printemps érable et de son tintamarre de casseroles pour l’obtention de la diminution ou même de la gratuité des études universitaires. Dans la crise de la pandémie que nous avons connue, plusieurs personnes se sont mobilisées pour offrir de la nourriture.     
         L’argent, c’est le symbole d’une force, d’un pouvoir. Il établit une ligne de séparation entre les êtres humains. Il marque une frontière entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas. La gratuité, c’est son contraire. Elle affirme le don inconditionnel, elle milite pour l’inclusion, pour la participation du plus grand nombre à la richesse collective. Elle est une affaire autant de société que d’individus. Le rassemblement est la marque de l’unité, du partage des biens. Chaque fois que nous nous rassemblons pour l’eucharistie, nous sommes ramenés à cette dimension de la gratuité du don de Dieu qui nous incite à l’imiter. Ne pas le faire, ce serait ignorer la profusion des biens dont nous bénéficions.    
         Dieu nous montre la voie. Ses bienfaits, il les a garantis à David et en Jésus, il tient promesse. Notre monde, notre société où règne l’argent doit aussi s’efforcer à garantir tous les bienfaits nécessaires à l’épanouissement de l’être humain. Il y a des faims que Dieu seul peut combler. Ensemble, nous sommes réunis pour nous réjouir de ses bienfaits. Mais il y a aussi toutes ces faims qui relèvent de notre mission. « Donnez-leur vous-mêmes à manger » vous qui avez connu le don de Dieu.