Est-ce que vous appartenez à Apollos? Est-ce que vous appartenez à Paul? Est-ce que vous appartenez à votre femme? Est-ce que vos enfants vous appartiennent? Et, comme me disait l’autre : Mon père, je suis tellement occupé que je n’appartiens plus du tout, comment voulez-vous que j’appartienne à ma femme? Autant de variantes de l’instinct de possession : cette tendance que nous avons parfois à vouloir tout contrôler, tout catégoriser : Nous avons la vérité! C’est ainsi que Paul évoque la division entre les chrétiens, évocation qui trouve écho encore aujourd’hui parmi nous. Comment l’Évangile nous aide-t-il à faire face à cette difficulté?
Quand nous abordons la question de la division entre chrétiens ou celle de la multiplicité des religions, c’est souvent la question de la vérité qui est en jeu. Il y a ceux pour lesquels la vérité est définie dans des formules claires et nous n’avons qu’à nous y conformer : là-dessus, nous avons la vérité. Il y en a d’autres qui nous disent que la vérité change tellement souvent que « La » vérité n’existe pas. Il n’y a que des vérités personnelles acquises au fil de nos expériences. Comment pouvons-nous nous en sortir?
Moi, je suis la voie, la vérité et la vie. Dans l’Évangile la vérité nous est présentée comme une personne. Ce n’est donc pas la vérité des formules mathématiques ni des constats scientifiques. Pour la mentalité biblique, la vérité vient de la rencontre avec Dieu. Est vrai ce qui est solide, sûr, digne de confiance. Et elle trouve sa plus belle expression dans l’événement Jésus Christ. C’est donc une vérité qui se révèle dans le temps et se manifeste dans l’histoire. Elle trouve ses premières expressions dans le Premier Testament et son accomplissement dans la mort et la résurrection de Jésus.
Mais elle ne s’arrête pas là. Lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. L’événement Jésus Christ est toujours en devenir. Ça ne s’arrêtera que quand il reviendra à la fin des temps. Nous avons reçu l’Évangile, oui, mais notre compréhension de l’Évangile, elle, n’est pas terminée. L’Esprit Saint nous fait encore découvrir de nouvelles virtualités de la Parole de Dieu. Autrement dit, la vérité de l’Évangile, ce n’est pas quelque chose qui se laisse circonscrire une fois pour toutes. La compréhension que nous en développons augmente toujours. La vérité s’acquiert au cours d’un long cheminement.
La vérité, en christianisme, ce n’est donc pas quelque chose qu’on peut posséder. À vrai dire, c’est plutôt Jésus Christ qui nous possède par l’action de son Esprit en nous. Nous ne sommes donc possédés par aucun autre esprit retors! C’est Jésus Christ qui a l’initiative de la révélation de la vérité. Comme le passage de ce matin l’illustre bien : c’est lui qui appelle les disciples. Aucun apôtre n’est venu porter son Curriculum Vitae pour l’emploi. Personne ne se présente de lui-même pour postuler. C’est Jésus qui choisit et appelle.
Dans cette perspective, l’attitude du disciple est celle de l’accueil, de la disponibilité, de la réponse. Devant Dieu qui prend l’initiative de venir nous rencontrer, les disciples écoutent sa Parole. Nous arrêtons le bruit autour de nous, nous lui faisons de la place en nous afin qu’elle puisse venir s’y déposer. Accueillie de cette manière, elle peut nous travailler de l’intérieur pour nous changer, nous convertir. Devant la vérité de l’Évangile, nous nous situons en humilité, dans une attitude d’ouverture et de réception.
Et nous le faisons, chacun de notre point de vue. La vérité de l’Évangile existe, oui, mais nous la recevons selon notre perspective propre. Comme ce lutrin que je voie, moi, de ce côté-ci; vous d’en-avant; et vous de côté. Au lieu de revendiquer la totalité de la vision, ne vaudrait-il pas mieux mettre en commun nos diverses perspectives afin de le saisir le mieux possible? La vérité ne se laisse pas posséder. Elle nous est donnée en partage afin de nous enrichir mutuellement dans notre cheminement vers elle.
Aussitôt, laissant là leurs filets, ils le suivirent. Certains disciples semblent avoir été très rapides dans leur réponse, d’autres moins. L’important est qu’ils se soient mis à le suivre dans la disponibilité à sa Parole. En ce dimanche de la Parole de Dieu, nous sommes invités, nous aussi, à nous centrer sur cette Parole commune à toutes les confessions chrétiennes, dans une attitude d’accueil. Nous sommes confiants que c’est de cette manière que l’Esprit de Jésus vaincra notre instinct de possession et fera grandir l’unité. Jésus Christ ne nous appartient pas. C’est Lui qui nous possède!