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6e Dimanche de Pâques (C)
1er mai 2016
Actes des Apôtres (15, 1-2.22-29)
André Descôteaux
Une eucharistie, signe et ferment de notre communion!
L’heure est grave. Jésus sait qu’il n’en a plus pour longtemps. Dans la perspective pascale de la Résurrection, ce qu’il appelle son passage de ce monde à son Père, il annonce à ses disciples qu’il ne leur sera plus présent comme il l’avait été jusque-là.
D’où la question : comment se maintiendra le lien entre lui et ses disciples ainsi qu’avec ceux qui se joindront à eux? Comment garder sa parole, pour reprendre sa manière de s’exprimer? Comment lui être fidèle dans des lieux, des époques, des cultures fort différentes du milieu où Jésus a vécu? Comment lui être fidèle quand ceux et celles qui se réclament de lui ne s’entendront pas entre eux?
La question n’est pas théorique ni nouvelle. Elle s’est posée très tôt dans l’histoire de l’Église. La première lecture nous situe à Antioche, vers 49 apr. J.-C. La cohabitation entre chrétiens d’origine juive et chrétiens provenant du monde païen s’avère difficile. Ce n’est pas la première fois que la jeune communauté chrétienne est confrontée à de tels tiraillements. Rappelez-vous les tout débuts à Jérusalem. Pour répondre aux récriminations des chrétiens hellénistes dont la langue était le grec, les Apôtres avaient décidé d’instituer le groupe des diacres qui s’assurerait d’un partage équitable des biens entre frères et sœurs, quelle que soit leur origine.
À Antioche, la question prend une autre dimension : elle devient doctrinale. Certaines gens venus de Judée disaient aux frères d’Antioche : « Si vous ne recevez pas la circoncision selon la loi de Moïse, vous ne pouvez pas être sauvés ».
Cette question comporte, me semble-t-il, au moins trois enjeux. Le premier : la communion dans la même foi signifie-t-elle l’uniformité? Y a-t-il place pour de la différence dans la communauté des disciples de Jésus? Deuxième enjeu : être fidèle à Jésus est-ce reproduire ce qu’il a été? Dans le cas qui nous occupe, n’oublions pas que Jésus était un bon Juif, qu’il avait été circoncis le huitième jour après sa naissance et qu’il observait la Loi. De plus, dans la tradition de l’évangéliste Matthieu, Jésus dit clairement « qu’il n’est pas venu abolir la Loi ».
Troisième enjeu qui est très important : que signifie le salut apporté par le Christ Jésus? Est-ce que la foi au Christ mort et ressuscité est insuffisante pour être sauvé? Est-ce qu’il faut en plus être circoncis?
Nous connaissons la réponse. Elle nous est rapportée dans la lettre adressée aux païens convertis. Les chrétiens d’origine païenne n’ont pas à se soumettre à la circoncision, par contre, par respect pour leurs frères et sœurs d’origine juive, ils s’abstiendront de ce qui pourrait troubler la paix commune.
Du point de vue doctrinal, la réponse est claire. Pas question d’exiger la circoncision puisque le salut est grâce accordée par le Christ Jésus mort et ressuscité.
Se trouve affirmé également que croire au Christ Jésus, ou encore lui être fidèle, ne consiste pas à une répétition ou à une reproduction matérielle de ce qu’il a été. Ce n’est pas parce qu’il a été circoncis que ses disciples doivent l’être. Ce n’est pas parce qu’il a fait telle chose qu’il faut nécessairement la reproduire. À l’inverse, et cela me semble très important, ce n’est pas parce qu’il n’a pas fait telle chose qu’il n’est pas possible de le faire! La fidélité est à un autre niveau. Elle est de l’ordre de l’Esprit. Vous avez sans doute observé que dès le début de la lettre envoyée à l’Église d’Antioche, il est dit « l’Esprit et nous avons décidé ». Cet Esprit est celui dont Jésus a parlé dans l’Évangile. « L’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit. » Souvenir. Non pas un souvenir attendri qui nous rappelle un événement passé ou encore une personne aimée disparue, mais un souvenir qui nous permet de le reconnaître sous des traits nouveaux. Reprenons le problème auquel sont confrontés les premiers chrétiens. Certes Jésus était un bon Juif, circoncis, mais qui a souvent accueilli l’étranger, qui est allé dans leurs territoires, qui en a même guéri, même s’il s’est dit d’abord envoyé aux brebis égarées d’Israël. Lui être fidèle n’est-ce pas accueillir, comme lui, tous ces étrangers, ces païens, qui se sentent interpellés par sa parole? Lui être fidèle n’est-ce pas faire éclater ces germes d’ouverture et d’universalisme qui déjà caractérisait son ministère? N’est-ce pas là la vraie fidélité? Étrange, paradoxal, se souvenir de Jésus dans l’Esprit peut signifier renoncer à certaines interprétations ou du moins les faire éclater pour accueillir une compréhension plus profonde du Christ et de son amour pour le monde!
Finalement, dans cette décision de l’Assemblée de Jérusalem se trouve affirmé qu’il y a place pour la diversité dans la communauté d’autant plus quand celle-ci est animée par le respect de l’autre, la charité que nous devons avoir les uns pour les autres. Saint Paul dira « tout m’est permis, mais tout n’édifie pas » (1 Co 10, 23), justement au sujet de ces viandes sacrifiées aux idoles! N’est-ce pas là cette paix que Jésus promet de donner, mais qui n’est pas comme celle du monde. Car sa paix n’est pas la résultante d’un rapport de forces, d’un équilibre entre puissances qui peut changer. Au contraire, c’est une paix exigeante, demandant à être construite qui repose sur l’amour mutuel et l’acceptation de l’autre dans sa différence. Pour éviter d’être trop long, n’ont pas été retenues dans l’extrait des Actes des Apôtres les délibérations de l’assemblée. Tous, y compris les tenants de la ligne dure, ont pu prendre la parole. Pierre, Paul, Barnabé, Jacques ont été ensuite écoutés. Car tous cherchaient dans l’Esprit le chemin de la fidélité au Christ Jésus.
Même si la destruction de Jérusalem par Rome rendra caduque cette décision, cet épisode de la première communauté chrétienne nous montre comment les disciples ont essayé de garder fidèlement la parole du Seigneur. Un idéal. Certes. Un appel. Je terminerais en rappelant que l’ordre des prêcheurs est dit démocratique. Il y a beaucoup de discussion entre les frères. Nous avons même l’instance du chapitre. Toutefois, sans cesse, les maîtres de l’Ordre nous rappellent que nous ne sommes pas d’abord démocratiques parce que nous votons et décidons à la majorité plus une voix, mais parce que nous cherchons l’unanimité dans l’Esprit. Que notre eucharistie soit signe et ferment de notre communion!