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4e Dimanche du Carême (C)

6 mars 2016

André Descôteaux

Cor II, 5,17-21

Luc 15, 1-3, 11-32

André Descôteaux

Comment calculerons-nous?

On calcule beaucoup dans cette parabole. Et ce dans bien des sens.
           
Avant de partir, le cadet a dû évaluer l’héritage auquel il avait droit et se demander s’il en avait suffisamment pour bien vivre, libre de toute attache paternelle. Il a bien fallu qu’il fasse son budget. L’appart! Les cours! Le cellulaire! Le gym! Les voyages! Il faut savoir si on a les moyens de ses désirs.        
           
Mais il avait oublié quelque chose dans ses calculs : lui-même et les imprévus. C’est un dépensier. Il aime plus les fêtes que les cours! En plus, une tuile : la famine, la disette. Les prix s’envolent! Le voilà donc sans le sou et réduit à accepter n’importe quelle tâche, aussi abjecte soit-elle, pour survivre.        
           
André DescôteauxIl se remet donc à calculer : si je retourne à la maison, j’aurai bien le minimum vital. Étant convaincu qu’il serait mieux chez son père, il calcule, mais cette fois en imaginant le stratagème à adopter pour être reçu par son père et non pas foutu dehors.
           
Un autre bon calculateur : l’aîné. À faire les comptes, il se trouve bien perdant. Il travaille chaque jour. Toujours présent. Et qu’obtient-il en retour? Selon lui, même pas un petit chevreau pour fêter avec ses amis! Ce n’est pas juste. Rappelez-vous, c’est le même calcul et la même réaction des ouvriers de la première heure qui murmurent en voyant les ouvriers embauchés à la toute fin de la journée recevoir le même salaire qu’eux! Ce n’est pas juste! Même attitude de ces pharisiens et scribes, à qui est adressée cette parabole, qui récriminaient contre Jésus parce qu’il faisait bon accueil aux pécheurs et mangeaient avec eux. Ce n’est pas juste.
           
On calcule beaucoup. Nous aussi calculons beaucoup. Quand je pense aux échanges de cadeaux. La fameuse bouteille de vin qu’on se passe d’une invitation à l’autre. Je me souviens de ces discussions interminables entre ma mère et mes tantes lorsqu’il fallait payer la facture au restaurant. Non, c’est moi! Non, c’est moi! C’est tout juste si la chicane ne prenait pas! Un long rituel dont tous connaissaient le dénouement! Calcul! Mais souvent nos calculs sont bien plus graves que de décider du partage d’une facture au restaurant. Quoique… 
           
Pourtant, il en faut du calcul! Imaginez un monde où personne ne calculerait! Un monde où tout le monde serait comme le père de la parabole. Car lui ne calcule pas.     
           
Au contraire, il est rongé par l’inquiétude. Malgré tout il espère : peut-être reprendra-t-il le chemin de la maison? Enfin, le voilà! « Mon fils, qui était mort, est revenu à la vie; il était perdu, et il est retrouvé! »     
        
Il entend les réactions de son aîné, il ne le condamne pas, mais l’invite plutôt à reprendre ses calculs. Compte bien. Regarde : tout ce qui est à moi est à toi. C’est déjà pas mal. En plus, tu jouis d’un bien qui n’a pas de prix : notre présence de l’un à l’autre. Tu es toujours avec moi! Et surtout, calcule donc autrement. Entre dans le calcul le prix de la mort et celui de la vie! Le prix de l’amour d’un père et d’un frère! Celui que tu ne veux même pas appeler ton frère en le désignant comme « ton fils que voilà », il est maintenant vivant! Sa vie, c’est mon trésor! Mon calcul : c’est sa vie, c’est ta vie! Ne faut-il pas festoyer? Cela vaut bien quelques petits débordements, n’est-ce pas?     
           
Que fera l’aîné? Entrera-t-il dans le calcul de son père ou continuera-t-il, avec les ouvriers de la première heure, avec les scribes et pharisiens, à soutenir que cela est injuste? Comme le dit le frère Michel Gourgues dans un commentaire de cette parabole, « c’est à prendre ou à laisser ». Et il poursuit : « Veut-on un Dieu juste, c’est-à-dire neutre et indifférent comme un caissier ou une caissière de centre commercial? Veut-on un Dieu qui laisse les gens faire leur choix et se débrouiller comme ils le peuvent, quitte à passer le tout à la balance au terme du parcours? Conçoit-on Dieu comme un impersonnel fléau de balance qui ne fait qu’enregistrer les poids et les valeurs? »*       
           
Non, ce n’est pas le Dieu de l’Évangile. Ce n’est pas le Dieu de Jésus Christ. Ce n’est pas le Dieu qui brûlait le cœur de notre frère Benoît. Il avait compris que Dieu rêve de voir ses enfants tous rassemblés, tous réconciliés dans sa maison et lui-même a été un ministre, un infatigable artisan de cette réconciliation.      
           
La parabole est inachevée. C’est le fils aîné qui en écrira le dénouement, que fera-t-il? Comment calculera-t-il? Pour nous aussi, la parabole est inachevée, comment en écrirons-nous le dénouement? Que ferons-nous? Comment calculerons-nous? Amen.


* Gourgues, Michel. Chemins de Pâques. Exploration des évangiles de Carême et Pâques : de l’exégèse à la prédication, Paris, Cerf.           
           

Communauté chrétienne Saint-Albert-Le-Grand de Montréal