3e Dimanche du Temps Ordinaire (B)
25 janvier 2015
Urgence et conversion
Yvon D. Gélinas
Un sentiment d’urgence semble parcourir les textes qui viennent d’être proclamés. Depuis la course rapide de Jonas à travers Ninive, avec le temps limité dont parle Paul jusqu’au temps accomplis de l’évangile. L’urgence de transmettre la Parole reçue, de la faire connaître de tous, justement parce que le temps est limité et que désormais le temps sera accompli. Une urgence à cause d’une menace imminente, d’un châtiment possible ? Bien plutôt parce qu’il faut qu’à l’annonce de la Parole entendue et reçue naisse un temps nouveau, un monde nouveau dans lequel il faut pouvoir pénétrer. Condition de cette entrée : la conversion.
On pourrait avoir l’impression d’entendre encore une fois un discours sur l’au-delà et même sur la fin des temps. L’évangile toutefois oriente notre réception de la Parole dans un sens qui est plus près de nous; un discours qui alors devient bien plus concret pour nous.
Une urgence, oui, parce que l’on a avantage à profiter du temps qui est le nôtre, qui peut être au-delà de toutes les peines, de tous les malheurs, un temps de vie heureuse et fructueuse. Que le temps nous soit limité, nous ne le savons que trop bien. Il faut donc l’employer correctement ce temps puisqu’il peut être le temps de la Bonne Nouvelle. Non pas parce que comme d’un coup de baguette magique tout deviendrait joyeux, débarrassé de tous les ennuis, de toutes les peines et malheurs de notre humanité, mais bien plutôt parce que ce temps peut avoir et prendre un sens, parce qu’il est en grande partie remis entre nos mains et que nous avons la possibilité de faire que ce temps en soit un d’accomplissement de soi, d’accomplissement pour les autres aussi en un mouvement de solidarité et de fraternité. Voilà qui appelle une conversion, vraiment un regard tourné dans une autre direction que celle de la peur, de la désolation, du découragement. Un regard qui devient une autre façon de voir les choses, qui entraîne un changement de mentalité,
Il y a plus dans les personnes, les événements, toutes les choses, que de simples objets offerts à notre consommation. Une consommation souvent abusive qui nous détruit et détruit notre monde. Il y a comme une doublure de toutes les réalités, une doublure qu’aperçoit qui regarde à la lumière de l’Évangile, avec les yeux de l’Évangile. Il n’y a pas que l’immédiat, que le matériel utile qui soient satisfaisants, il y a un destin commun à révéler, à partager, en entraide et bien souvent en compassion. Un destin qui a pour les croyants et croyantes, un nom : celui du règne de Dieu. Un règne qui n’est pas que dans le futur mais qui déjà est ici commencé dans la reconnaissance de Dieu, de son Fils Jésus, de qui nous sommes vraiment et entièrement. Et c’est un règne, un royaume, auquel nous ouvre la conversion du cœur et de l’esprit, qu’il est possible pour nous de construire, qu’il faut sans cesse reprendre et qui n’est jamais tout à fait achevé. Le moindre de nos gestes de nos petits pas le fait ce temps nouveau dans une volonté de continuer, de poursuivre, de faire vivre toujours.
En parlant ainsi, nous ne nous consolons pas avec des mots, des rêves, un imaginaire qui nous aiderait à ne pas voir les malheurs et les atrocités de ce temps présent. Non, au contraire. Mais le regard converti nous amène à ne jamais nous résigner tête baissée devant les malheurs et les échecs. La Parole de l’Évangile, telle que proclamée par le Christ Jésus, nous convoque, à l’image même de ce que ce Jésus a dit et fait, à travailler à la justice, à la paix, au relèvement de ceux et celles qui sont courbés sous le poids d’une vie trop lourde et sans lumière, à essuyer, comme il nous a promis lui-même de la faire, à essuyer toutes larmes de nos yeux.
Jésus apparaît dans le passage évangélique d’aujourd’hui comme en marche, comme mu par une urgence à proclamer la bonne Nouvelle. Ce qui est remarquable, c’est qu’il a voulu dès le début de son ministère associer des disciples à son action et à sa prédication. À travers les Simon, André, Jacques et Jean du récit, c’est nous aussi qui sommes appelés par Jésus. Appelés à devenir nous aussi des pêcheurs d’hommes. L’expression peut nous sembler ambigüe, mais nous comprenons qu’ainsi est désigné une attitude et un comportement qui veut susciter la révélation pour beaucoup — et pour nous — de ce que la vie, notre vie, sur cette terre, n’est pas limitée au seul nécessaire travail, qu’il y a plus à accomplir, plus, et plus grand, et plus beau qu’un étroit et limité horizon quotidien, si beau déjà soit-il. Révélation en vérité d’une Bonne Nouvelle souvent cachée dans les coins les plus sombres de la réalité que seul perçoit l’œil purifié et le désir de rendre plus heureux notre terre et notre temps.
Il y a pour nous tous l’appel à laisser là nos filets et à prendre le large à la suite de Jésus, à redresser sans cesse la tête, à vivre une espérance qui n’est pas l’écran qui cache la réalité mais qui donne à cette réalité toute sa dimension et son accomplissement.