Troisième Dimanche du Carême (A)
23 mars 2014
Au puits de Samarie
Yvon D. Gélinas
L’heure chaude de midi. Un puits près d’une ville de Samarie. Un homme s’approche. Il est fatigué : il a longuement marché. Surtout, il a soif. C’est un étranger auprès de ce puits dit de Jacob, en Samarie : il est juif. Une femme survient. Elle vient puiser à ce puits. Sa corvée quotidienne de l’eau. Elle aussi elle ressent la fatigue : la corvée quotidienne de l’eau; l’ennui d’un travail toujours à refaire. À l’initiative de l’homme, un dialogue s’engage. Mal. La rencontre est improbable entre un juif et une samaritaine que séparent de vieilles disputes et traditions religieuses. Et puis, tout commence par l’expression d’un manque : Donne-moi à boire, j’ai soif. Et la rebuffade de la femme, presque insolente. Il dit son désir, son besoin, son manque. Et elle aussi elle manifeste ses besoins et ses manques dans son ironique mauvaise humeur. Un espace sépare les deux protagonistes. Espace des coutumes diverses, des différences religieuses. Il est toujours question de l’eau, mais pas de la même eau pour Jésus et pour cette samaritaine dont on ne connaît même pas le nom. Un espace que l’homme Jésus va amener à dépasser.
D’équivoques en quiproquos, au va et vient de l’échange, s’expriment les besoins, les désirs, et bientôt les dons. Les besoins du corps et les désirs du cœur. Chez la femme, une recherche de bonheur humain qui connaît aussi une inquiétude religieuse : Ce Dieu que nous, Juifs et Samaritains, servons et adorons, où donc est-il? Ici, sur la montagne, ou là-bas à Jérusalem? Qui a tort, qui a raison? Et chez Jésus, le désir de dire, de révéler, de répondre à toutes les soifs, sans jugements préconçus, sans volonté d’imposer. Le désir d’être entendu au cœur des réalités de la vie. D’être serviteur, mais pas dans l’abstrait, l’irréel, l’au-delà. Le désir, surtout, du dialogue.
Tout se passe et se joue autour de l’eau, élément vital, essentiel. Une eau que chacun à sa manière peut donner et partager. L’eau qui refait les forces du corps et permet de continuer la route. L’eau de la parole et de la grâce qui permet le dépassement des obstacles humains, des vieilles querelles asséchantes. L’eau qui libère et fait se retrouver, d’horizons différents, autour d’un Dieu qui veut être appelé Père et que l’ont sert et respecte en vérité, en esprit, en liberté. L’eau que donne Dieu et qui nous donne à Dieu.
Tout se joue et se passe autour de l’eau et autour du don. Ce don qu’est la parole et le dialogue qui déblaie de tout obstacle le chemin qui permet de traverser l’espace qui semblait un abîme. Le don du dialogue, du partage de la parole et des désirs du cœur qui fait progresser et grandir ceux qui ainsi se parlent.
Et voici d’autres personnes autour du puits, et d’autres rencontres qui toutes témoignent d’un chemin parcouru et d’un progrès. Les disciples, un peu lents toujours, si souvent terre à terre. Ils s’étonnent comme jamais de la liberté de Jésus : Il parle avec une femme, une Samaritaine! Les disciples qui reçoivent en silence un enseignement sur le service et le don. Un enseignement qu’ils reçoivent mais ne comprennent pas pleinement. Pour eux, l’heure n’est pas encore venue. C’est toujours le temps de la réserve et de la distance, et aussi du respect et de l’attachement.
Et voici encore les gens de la ville qui veulent vérifier par eux-mêmes ce que cette femme leur a raconté. Et leur accueil de la libération, du don reçu de la foi après que Jésus soit demeuré avec eux.
D’autres personnes encore auprès du puits : nous, aujourd’hui, avec Jésus au puits de Samarie. Allons-nous entrer en dialogue avec lui? Répondre à l’entretien qu’il est le premier à ouvrir? Allons-nous consentir à reconnaître notre soif d’une eau vive? Nous voici, nous, si souvent habités par la question qui terminait tout à l’heure la lecture du Livre de l’Exode :Le Seigneur est-il vraiment au milieu de nous, ou bien n’y est-il pas?
Et si la réponse était : il est au milieu de nous, en nos partages et en nos dons d’eau : le don physique et matériel de l’eau qui permet la vie; le don de l’eau spirituelle des paroles quand nous risquons la rencontre et le dialogue! Dons que l’on désire, dons que l’on reçoit et qui répondent à nos besoins. Il est au milieu de nous, auprès du puits de nos soifs. Risquerons-nous, comme la femme de Samarie, le dialogue avec lui : dire nos manques, nos besoins, nos désires, et être entraînés par lui vers le don de son eau vive, eau de sa parole, de sa grâce devenant notre eau à nous, eau du don reçu et du don partagé.